Esquisse historique des Mines et Salines de Bex
PAR
M. Ch. GRENIER, député, président du Conseil d’administration des mines et salines, à Bex.
A l’entrée de nos Mines de sel de Bex, nous pourrions graver cette inscription dont personne à coup sûr ne contesterait l’à-propos:
La nécessité est la mère de l’industrie.
Les gisements salins dans le lias sont généralement si pauvres en sel qu’on ne les exploite plus. Les mines de Moutiers en Tarentaise ont été abandonnées. Les nôtres, qui appartiennent à la même formation, subsistent encore.
Leur existence, aux époques reculées, a tenu au manque de communications, et leur conservation à l’époque actuelle, à diverses circonstances dont nous vous entretiendrons, qui ont été pour elles une compensation à l’extrême pauvreté de la roche salée.
Nos salines ne vous offriront donc, Messieurs, pas d’autre intérêt, que celui qui s’attache à une chose qui subsiste encore, alors qu’à première vue il semble qu’elle ne devrait plus exister.
Les mines et salines de Bex ont passé par trois phases successives, dont chacune a fait son apparition au moment où elles étaient menacées d’un abandon complet.
Ce sont ces trois périodes distinctes, mais qui s’enchaînent logiquement l’une à l’autre, que nous allons vous décrire brièvement :
La, première, est celle de l’exploitation des sources salées, évaporées d’abord telles qu’elles étaient, et plus tard après avoir été graduées.
La seconde, comprend l’extraction du roc salé et son lessivage dans des salles spéciales.
La troisième, que nous parcourons aujourd’hui, se caractérise par le lessivage du roc salé en place.
La première source salée fut découverte vers le milieu du XVIe siècle (1554), au bord de la Gryonne, dans un pré appartenant à Victor Croset, à l’endroit où débouche aujourd’hui le Puits-du-jour. Elle fournissait 40 à 45 pieds cubes d’eau de 3° à 4° de salure, soit environ 100 livres de sel, par heure.
Les archives de Gryon nous parlent d’un pasteur de cette paroisse, nommé Gaultier, qui se noya à cette époque dans la Gryonne, en se rendant au village d’Arveyes où s’évaporait, dans de simples chaudières en cuivre, l’eau salée provenant de cette source. Après avoir eu plusieurs propriétaires, elle fut achetée par l’Etat de Berne en 1680. Quelques galeries de recherches avaient déjà été creusées. Mais les travaux souterrains ne devinrent importants qu’à partir de cette époque.
En 1684, un mineur savoyard, nommé Lombard, soupçonnant que la source salée s’élevait des profondeurs de la terre et se perdait partiellement dans sa marche ascendante, proposa de la couper par une galerie. Il la retrouva en effet à 50 pieds plus bas, plus abondante et possédant 11° de salure au lieu de 4. Ce résultat encourageant fut le point de départ de la théorie des abaissements. Elle eut pour conséquence les nombreux travaux qui se succédèrent rapidement dans la mine, dans le but de découvrir des sources de plus en plus salées et de plus en plus abondantes, en les coupant à une plus grande profondeur.
Le cadre restreint de cette esquisse ne nous permet pas une description détaillée de ces travaux. Il suffira de savoir : que la galerie principale du Coulât, achevée en 1707, en 13 ans, a une longueur de 2800 pieds; qu’en 1726, sur les plans de M. le directeur Gamaliel de Rovéréa, on entreprit la galerie principale du Bouillet et le grand escalier de 454 marches qui relie les deux mines ; que, chemin faisant, un certain nombre de sources salées furent découvertes ; mais que les espérances, qu’avaient fait naître les premiers succès obtenus par le système des abaissements, s’évanouirent graduellement. Plusieurs sources perdirent partiellement, d’autres entièrement leur salure. Ainsi la source de Providence, la première exploitée, celle qui donna lieu à tant de travaux, coule aujourd’hui, toujours abondante, mais entièrement dessalée, dans la galerie du Bouillet. Une de ces sources fait exception à la règle ; c’est celle de Bon-succès, dite source Ansermet, du nom du mineur qui en prenait soin. Ce brave et ancien serviteur est mort, il y a quelques années, au village de Fenalet, à un âge très avancé. Cette source a maintenu sa salure initiale de 22 à 23°. La source d’Augure, d’une moindre importance, est dans le même cas.
Il se présente ici deux faits, sur lesquels nous appelons votre attention. Nous voyons d’abord des sources salées perdant graduellement, puis complètement leur salure; et à côté d’elles, d’autres sources, qui conservent encore leur salure initiale. Ceci nous conduit à dire quelques mots des deux théories, formulées dans le temps, sur les sources salées de Bex.
L’une, nous montre les eaux pluviales et les sources d’eau douce rencontrant dans leurs cours des massifs salés, si¬ tués à diverses hauteurs, puis se déversant dans un espace occupé par une roche schisteuse et spongieuse qu’on a dé¬ signée sous la dénomination de cylindre. Le cylindre est une sorte de poche entourée d’un roc solide et imperméable. En crevant cette paroi de plus en plus bas, l’eau devait être toujours plus abondante et toujours plus salée. Les premiers succès obtenus par les abaissements, semblèrent donner raison à cette théorie.
L’autre théorie admet aussi le cylindre comme réservoir des eaux salées, mais elle place le massif salé à une grande profondeur au-dessous de la formation gypseuse. Il se passerait là quelque chose de semblable à ce qui a lieu dans les puits artésiens. Les eaux douces, après avoir pénétré dans les entrailles de la terre et s’être saturées de sel par leur contact avec ce massif salé, remonteraient à la surface et donneraient ainsi naissance aux sources salées. La des salaison graduelle de la plupart de nos sources semble confirmer la première de ces théories, pendant que la salure constante des sources Ansermet et Augure donnerait raison à la seconde.
Le grand Haller, qui dirigea les mines de Bex vers 1750, admettait l’existence d’un lac salé, situé à une pro¬ fondeur considérable, dont l’eau poussée de bas en haut par les forces naturelles, donne naissance aux sources salées. Nous ne savons trop ce que peuvent être ces forces naturelles, qui se reposent aujourd’hui; mais nous serions heureux si nous pouvions un jour aboutir au lac salé de M. de Haller.
Le bouquet de la théorie des abaissements fut la proposition faite à LL. Excellences de Berne par M. de Beust, de leur produire un plan dont l’exécution devait se traduire par un rendement beaucoup plus considérable des mines, plan qu’il ne dévoilerait que sur la promesse qu’une somme de 80 000 livres lui serait préalablement comptée. L’acceptation de cette condition aboutit au forage du puits de Providence, et à la perte de la source de ce nom, qui au lieu de répondre aux prévisions de M. de Beust, perdit graduellement sa salure. Ce fut aussi lui qui fit creuser le grand puits du Bouillet, jusqu’à 80 pieds en dessous du niveau du lac. Il devait recevoir, comme part de bénéfice, le quart du produit des sources salées qui seraient découvertes. Ces sources ayant été insignifiantes, l’affaire ne fut pas aussi bonne pour lui que celle du puits de Providence. Dans les deux cas, l’Etat de Berne y fut pour ses frais. On voit que M. de Beust n’était guère partisan de la science improductive et désintéressée. Ce fut encore lui qui inaugura les bâtiments de graduation, commencés sur ses plans en 1729, lesquels complétèrent le système de l’exploitation des sources salées.
Le nombre de ces sources, ainsi que leur salure, ayant considérablement diminué, M. Jean de Charpentier, qui était attaché à la direction des Mines dès l’année 1813, proposa en 1823 l’extraction et le lessivage du roc salé, dont il venait de découvrir des amas importants.
Ici commence le second mode d’exploitation des mines de Bex.
Vers la fin du siècle dernier, on creusait à la mine des Vaux des puits d’une certaine profondeur dans le roc salé. On les remplissait d’eau douce, qu’on en ressortait plus ou moins salée après un séjour d’un mois. Mais cette eau sans mouvement s’altérait, comme c’est encore le cas aujourd’hui lorsque l’eau salée séjourne trop longtemps dans les réservoirs. Le roc salé fut aussi trouvé en 1705 à l’exploitation dite de Graffenried, où l’on peut voir encore aujourd’hui des chambres qui ont servi à lessiver la pierre salée et qui en contiennent encore les résidus.
Toutefois, l’exploitation régulière du roc salé et son lessivage dans des salles, creusées ad hoc dans le roc non salé, ne date que de 1823. Ce nouveau mode d’exploitation réalisa deux progrès importants. Il permit d’augmenter considérablement la production du sel, qui ne fut plus dépendante du rendement variable des sources. Puis le lessivage du roc salé, produisant de l’eau saturée, rendit inutiles les bâtiments de graduation, dont le but était d’augmenter, par l’évaporation spontanée à l’air, le degré de salure de l’eau. Le défaut de ce mode d’exploitation était d’être coûteux. Les frais de premier établissement, consistant à creuser des dessaloirs au Coulât et au Bouillet, furent considérables. Ceux concernant l’exploitation étaient aussi très élevés. Ils consistaient dans l’abattage de la roche à la poudre, dans son transport aux dessaloirs et dans le camionnage des résidus hors de la mine. Néanmoins, le prix, auquel l’Etat pouvait alors payer le sel à l’établissement des salines laissait à ce dernier un bénéfice suffisant. Il n’en fut plus de même, lorsque la construction des voies ferrées eut amené une baisse sensible dans le prix de revient du sel étranger chez nous. La lutte devint d’autant plus difficile que les bois, seul combustible employé alors, avaient tellement renchéri, que, dans les dernières années de l’exploitation des salines par l’Etat, on les payait environ trois fois plus cher qu’au commencement du siècle. Aussi arriva- t-il un moment où les salines, loin de donner un bénéfice à l’Etat, le constituèrent en forte perte. Dès lors leur abandon fut réclamé, chaque année avec plus d’insistance, par les parties du canton qui n’étaient pas directement intéressées à leur conservation.
La commune de Bex, menacée de voir disparaître une exploitation, qui, depuis si longtemps, donnait un travail assuré à ses ressortissants, tout en produisant annuellement un mouvement d’argent d’une certaine importance, s’émut de cet état de choses.
Des démarches furent faites auprès de M. d’Alberti, di¬ recteur général des salines du Wurtemberg. Une correspondance commencée avec lui le 21 juin 1863, fut mise sous les yeux du gouvernement vaudois. M. d’Alberti, invité par lui à venir visiter les salines de Bex, se rendit à cet appel. De retour chez lui, il rédigea un rapport très détaillé, qu’il adressa à notre gouvernement. Sa conclusion était que les appareils d’évaporation devaient subir une réforme complète, dont il fournissait les plans. Mais il ne pouvait pas disait-il, porter un jugement définitif sur les mines, lesquelles demandaient une étude, qui, pour être complète, serait longue et minutieuse. Le Conseil d’Etat invita M. l’architecte Braillard et M. Colomb, alors directeur des salines, à se rendre à Friedrichshall auprès de M. d’Alberti pour examiner avec lui les installations de cette sa¬ line, qui avaient donné lieu aux plans proposés. Le rapport de ces Messieurs ayant été favorable, le Conseil d’Etat de¬ manda au Grand Conseil les fonds nécessaires à l’exécution des travaux. La commission, chargée d’examiner le projet, fit son rapport par l’organe de M. Eytel, le 17 mai 1865.
Dans la discussion qui s’ouvrit à cette occasion, M. le député Demiéville d’Yverdon, l’un des plus ardents champions de l’abandon des salines de Bex, prononça un discours des plus remarquables. Recourant à l’éloquence des chiffres, il prouva, par des calculs d’une logique écrasante, que les salines de Bex causaient à l’Etat une perte annuelle de 74,567 fr. 40. Il prétendit qu’en payant à titre de pension, aux 112 ouvriers employés alors aux salines, la moitié de leur salaire, l’Etat gagnerait encore, en fermant les mines, une somme annuelle de 35,606 fr. 30. Sur la proposition de la commission, le Grand Conseil ajourna à la session d’automne la solution définitive de cette question.
Cet ajournement n’était autre chose que l’arrêt de mort à courte échéance des salines de Bex. Un seul moyen restait encore de les conserver, à savoir leur continuation par l’industrie privée. Quelques citoyens se réunirent, puis s’abouchèrent avec le Conseil d’Etat, afin d’examiner avec lui les conditions auxquelles cette reprise pourrait avoir lieu. A la suite de nombreuses conférences, une convention fut conclue le 8 septembre 1866, et ratifiée par le Grand Conseil, le 24 du même mois. Une société, composée en grande partie de citoyens de la contrée et d’ouvriers des Salines, se constitua par acte du 23 novembre 1866.
Elle se mit immédiatement à l’œuvre, construisit au Bévieux, sur les plans de M. d’Alberti, de nouveaux appareils d’évaporation et commença à’ exploiter pour son propre compte en automne 1867 l’exploitation ayant cessé le 1er juillet pour le compte de l’Etat.
La nouvelle société ne pouvait réussir qu’en apportant de grandes économies, partant de profondes modifications, au système suivi par l’Etat.
Diminuer le prix de revient de l’eau salée, et, ce résultat obtenu, évaporer cette eau à meilleur marché tel devait être et tel fut son programme.
Nous voici arrivés au troisième mode d’exploitation des salines de Bex, celui du lessivage du roc salé en place.
Cette méthode n’était pas entièrement inconnue à M. de Charpentier. Quelques paroles prononcées par lui dans les dernières années de sa vie, touchant ce qui se pratiquait à ce sujet dans les mines d’Autriche, nous revinrent en mémoire. Il doutait cependant, vu la pauvreté et la nature de notre roche, que le même système pût être appliqué dans nos mines. La question était pour nous d’une telle importance qu’une visite aux mines du Salzkammergut fut décidée. Elle nous mit bien vite au courant des procédés simples et pratiques qui y sont suivis. Creuser une salle à une certaine profondeur, y introduire de l’eau douce de façon à immerger son plafond sur une épaisseur de 20 à 30 centimètres ; puis, cette quantité ayant été délayée et dessalée, élever derechef d’autant le niveau de l’eau; et enfin, recevoir dans une galerie inférieure l’eau salée saturée se rassemblant au fond de la salle ; telle est la série des opérations fort simples qui est suivie en Autriche.
Mais, dans le Salzkammergut, le sel fait corps avec une marne friable, dans laquelle il entre pour 60 à 80 pour cent. L’eau délaie cette marne, dont le résidu se dépose sur le plancher de la salle, et le sel se dissout. Les choses ne se passent point ainsi à Bex, où nous avons affaire à une roche compacte, ne renfermant que 20 à 25 pour cent de sel. Il s’agissait de savoir comment cette roche se comporterait en présence de l’eau. Un événement fortuit facilita nos re¬ cherches et nous donna bon espoir de réussir. Une filtration s’étant produite dans la salle inférieure de l’exploitation de Graffenried, l’eau en atteignit le plafond et l’immergea peu à peu. Un simple pompage le remit bientôt à sec, et nous permit de nous rendre compte de l’état dans lequel il se trouvait. Nous constatâmes que ce plafond, de plus de trois mètres d’épaisseur, était aussi solide qu’auparavant, mais qu’il ne contenait plus de sel. Cette expérience nous démontra que la dessalaison de notre roche, par l’eau douce agissant de bas en haut, était parfaitement praticable, sur une épaisseur de 3 mètres au moins. Nos travaux furent dès lors dirigés dans le sens du lessivage du roc en place.
Les premiers travaux de cette nature furent entrepris au Bouillet, dans une petite salle que nous disposâmes en gradins. Leur résultat fut si satisfaisant, qu’avant de l’avoir épuisée nous en construisîmes une seconde au Coulât. C’est
cette dernière qui nous procure aujourd’hui à peu près toute l’eau salée que nous évaporons au Bévieux. Avant de l’y envoyer, nous la faisons passer dans les dessaloirs, afin d’être assuré d’une saturation complète. Employés dans ce but, les dessaloirs ne reçoivent aujourd’hui guère plus de 1/6 de la quantité de roc salé qui y était introduite anciennement.
Une turbine, établie au Bouillet, pompe l’eau salée et élève les pierres. Plus tard, une machine oscillante fut montée au Coulât pour y puiser l’eau salée. Ces deux engins diminuèrent d’une manière sensible nos frais d’exploitation dans la mine.
C’est dans la grande salle du Bouillet que se trouve le travail le plus considérable entrepris jusqu’ici en vue du lessivage du roc en place. Vous pourrez, Messieurs, en apprécier l’importance dans la visite que vous vous proposez de faire aux mines, visite à laquelle nous serons heureux de vous voir prendre part en grand nombre. Une tranchée de 20 pieds de largeur sur 30 de longueur, a été ouverte en 1870. Entièrement creusée dans le roc salé, ses deux bords atteignent le roc non-salé. Elle est donc la représentation exacte de la poche salée. Cette tranchée, ayant atteint en avril 1875 une profondeur de 142 pieds, des raisons de prudence et d’économie nous engagèrent à ne pas la pousser plus bas, et à continuer la descente au moyen de puits. Des galeries, parallèles à la tranchée, et effleurant le roc non salé à leurs deux extrémités, furent percées à des intervalles inégaux, afin de connaître toujours exactement la largeur et la configuration de la poche. A une profondeur de 242 pieds, nous rencontrâmes le roc non salé. Voulant nous assurer que nous avions atteint le fond de la poche, nous forâmes 2 galeries en sens inverse. La première se maintint dans le roc non salé; mais la seconde, dirigée au nord, entra bientôt en plein roc salé, et s’y maintint sur une longueur de 48 pieds. La poche avait donc subi une déviation totale du côté du nord ; mais sa longueur, au lieu de diminuer, s’était sensiblement accrue.
Nous sommes arrivés aujourd’hui à une profondeur dépassant 270 pieds, sans que la longueur ait diminué. Lors¬ que nous en aurons atteint le fond, ou lorsque nous jugerons convenable de ne pas pousser plus bas nos travaux, nous établirons, sous le massif salé, un réseau de galeries que nous remplirons d’eau douce. Cette eau, en s’élevant graduellement, dessalera peu à peu tout le roc salé.
Tout en travaillant à produire dans la mine de l’eau salée à meilleur marché, nous ne perdions pas de vue la question de l’évaporation. Lors de nos premières installations au Bevieux, en 1866, M. l’ingénieur Bridel, à qui nous demandâmes son avis sur les moyens à employer pour mieux utiliser les produits de la combustion, nous prouva qu’il y avait peu de chose à espérer de ce côté-là. Dirigez tous vos efforts, nous disait-il, sur un meilleur emploi des vapeurs. Elles emportent avec elles dans l’air la plus grande partie du calorique développé par le combustible. Plus tard, nous étant procure l’excellent ouvrage de M. Bruno Kerl, professeur à Berlin, sur les salines, nous y trouvâmes la description des essais de M. Rittinger sur l’emploi des vapeurs. En opérant, au moyen d’une pompe, l’aspiration des vapeurs provenant d’une eau salée chauffée en vase clos, puis leur refoulement dans un double fond enveloppant ce même vase, il était parvenu à saliner avec une économie de combustible de 75 %• Mais si son appareil confirmait le principe sur lequel il reposait, la difficulté d’en extraire le sel le rendait peu pratique. Dans une correspondance que nous eûmes avec M. Bruno Kerl, nous lui fîmes connaître nos vues sur l’utilisation des vapeurs au moyen de la force motrice dont nous pouvions disposer.
Il nous engagea à persévérer dans la voie dans laquelle nous nous étions engagés, ne doutant pas que nos essais ne finissent par aboutir à un résultat satisfaisant. Il nous conseilla de nous procurer l’ouvrage de M. Waerth, où nous trouverions de nouvelles données sur cette question. Nous
y trouvâmes, en effet, la description complète d’appareils, dans lesquels une pompe aspirante et refoulante servait aussi d’engin principal pour l’utilisation des vapeurs. Mais, au lieu de les refouler dans un double fond, enveloppant le vase d’où elles étaient aspirées, le refoulement se faisait dans un autre vase, ce qui rendait l’extraction du sel aisée dans les deux appareils.
Nous étions sur le point d’établir quelque chose d’analogue ; notre intention était de refouler les vapeurs aspirées par un compresseur, dans une série de tubes disposés en forme de lyre, au fond de plusieurs poêles, jusqu’à condensation complète. Notre collègue, M. l’ingénieur Payot avait déjà ébauché des plans et des devis dans ce sens, lorsque M. le professeur Piccard, pensant qu’en réunissant l’aspiration et la compression dans un même appareil, il parviendrait à éviter en grande partie la perte de chaleur qui a lieu lorsqu’on emploie des vases séparés, nous pro¬ posa un système de chaudières d’une construction spéciale. Notre société craignant les tâtonnements, qui sont les compagnons ordinaires des innovations, se décida à traiter avec lui, d’autant plus facilement qu’il lui garantissait le rende¬ ment et la bonne marche de ses appareils.
Nous devons dire, à sa louange et à celle de MM. Weibel et Briquet, avec lesquels il s’est associé pour cet objet, que ces appareils ont été construits avec un soin minutieux, que chaque pièce est bien travaillée, et qu’ils ne laissent rien à désirer comme bonne exécution. Le rendement en sel annoncé a été dépassé. Des circonstances tenant aux phénomènes qui se produisent pendant la salination, n’ont pas permis jusqu’ici à ces appareils de se prêter à une fabrication suivie. Nous espérons que ces ingénieurs réussiront à surmonter les difficultés qui se présentent à eux, comme ils ont surmonté celles qu’ils ont déjà rencontrées sur leur chemin.
M. le professeur Piccard vous donnera lui-même sur ses appareils des détails qui vous intéresseront certainement.
Les comptes du gouvernement vaudois montrent combien les calculs de M. Demiéville s’éloignaient peu de la vérité, lorsqu’il disait au Grand Conseil, en 1865, que les salines de Bex causaient à notre canton une perte annuelle de 74,567 fr. 40.
Les sels produisirent à l’Etat en 1865 Fr.280,312 25.
Les sels produisirent à la Compagnie en 1868 Fr.335,850 95
Après la première année d’exploitation de la Compagnie actuelle, soit au 31 décembre 1868, le produit de la vente du sel avait donc augmenté de Fr.55,838 70.
En 1875, les sels donnèrent un rendement de 360,337 25, ce qui comparé à celui de 1865 de 280,312 25 montre qu’en dix ans le produit annuel des
sels s’est accru par suite de la remise des salines à l’industrie privée de 80,025.
Ainsi, à partir de leur création, nos mines et salines ont traversé trois périodes distinctes. Elles ont été sauvées deux fois d’un abandon complet; et, si elles subsistent encore aujourd’hui, à qui le doivent-elles? A la science ; à vos
devanciers et à vous-mêmes, Messieurs ; à ces hommes de tous les âges, qui, dans le silence du cabinet, arrachent à la nature ses secrets, et livrent à l’industrie les matériaux avec lesquels elle édifie ses monuments.
Honneur donc à la science, et à vous, Messieurs, qui la cultivez pour la gloire et la prospérité de notre chère patrie.
Bex, le 20 août 1877.
Gypse, anhydrite...et vins : les autres ressources de la région de Bex
La région de Bex est connue depuis plusieurs siècles pour sa ressource naturelle principale, le sel. Décelée à l’origine par des sources salées, cette matière première essentielle a été tout d’abord extraite par évaporation de saumures, puis par forages, injection d’eau et précipitation par thermo-compression. Mais la région produit aussi un autre dérivé des évaporites, le plâtre (du grec « emplatein », enduit) par calcination du gypse, à la fois roche et minéral témoignant avec le sel, l’anhydrite et le soufre de Sublin d’un riche patrimoine géologique et minier (Fig.1). Ce gypse, visible à l’affleurement à la différence de l’anhydrite (et du sel !) est aussi la roche-mère de sols particuliers conférant au vignoble, voire aux vins, un caractère de terroir spécifique.