Oulianoff Nicolas

Mes deux vies

« Vous m’avez demandé de raconter ma vie, plutôt mes deux vies ! Vous comprendrez plus tard pourquoi je pense en avoir vécu deux. »

Nicolas Oulianoff

Lorsque nous avons commencé nos études de géologie, en 1949, le titulaire de la chaire, Elie Gagnebin, venait de mourir. Les cours ont été assurés par trois personnes présentes, dont Nicolas Oulianoff, professeur de géophysique. L’année suivante le professeur Héli Badoux était nommé à la direction de l’Institut de Géologie.

Il avait presque 70 ans quand nous avons fait sa connaissance. Pour nous, il était surtout le créateur d’une fabuleuse boussole.

Oulianoff avait alors 68 ans et nous l’avons gardé comme professeur de géophysique pendant encore deux ans. A côté de la géophysique, il nous enseigna la manière de dresser une carte topographique avec des moyens simples, ce qu’on appelait la topographie d’exploration. Lors d’une excursion à la Fouly en 1951, il avait donc 70 ans, toujours en fonction et toujours bon marcheur : il nous accompagna deux fois au glacier de l’A Neuve pour mesurer l’écoulement de la glace.

La boussole qu’il avait conçue permettait la lecture des angles par rapport au nord à ± 0,5°. Etant suspendue à un cardan, elle se tenait à l’horizontal. Le clisimètre fixé dans le couvercle permettait de lire l’angle d’un objet visé par rapport à l’horizontale. Il y avait même une échelle pour estimer la distance d’un jalon de 2 m. Sur le couvercle un clinomètre servait à mesurer la pente des couches. La boussole représentée sur cette photo était sa boussole personnelle, déposée au Musée de Géologie.

Il avait mis au point une boussole un peu spéciale qui portait son nom, au moyen de laquelle il était possible de dessiner une carte. Il nous apprit même comment dresser une carte à partir de photos. L’admiration que nous lui portions a fait que nous avons continué à le fréquenter alors qu’il était en retraite et,  dans le cadre de nos travaux de diplôme,  équipés d’une chevillière, de la boussole Oulianoff et d’un Leica, nous avons dressé une carte tout à fait présentable du glacier de la Plaine Morte. Professeur de pétrographie, Stephen Ayrton a enregistré les souvenirs de N. Oulianoff.  Une version complète sur papier peut être consultée au Musée de Géologie.  Nicolas Gex, historien, a travaillé ce matériel et transcrit les événements dignes d’intéresser un historien dans un travail très documenté1 . Cependant les mémoires d’Oulianoff contiennent de nombreuses anecdotes qui, à notre avis, justifient une transcription intégrale, du moins dans leur première partie. Bien des publications ont été consacrées au centenaire de la révolution de 1917 et il nous a paru intéressant de montrer comment un jeune homme de conditions modeste, doué et courageux, avait vécu cet évènement et les années qui l’ont précédé et suivi. Ces souvenirs  sont riches de nombreuses incises, de retours dans le passé ou, au contraire, de projections dans le futur qui en rendent la lecture difficile. C’est pourquoi nous nous sommes permis une remise en ordre chronologique pour cette adaptation ainsi plus aisée à lire. Et nous avons choisi d’illustrer ces souvenirs en reproduisant quelques gravures publiées en 1880 dans La Géographie Universelle d’Elisée Reclus, parce que ces images sont belles et parce qu’elles donnent une idée  du milieu que connut Oulianoff dans sa jeunesse.

Marcel Burri et Arthur Escher


1. De Nijni-Novgorod aux rives du Léman : Nicolas Oulianoff, un parcours de la politique à la géologie. Actes du colloque de juin 2011 : Deux siècles de présence russe en Pays de Vaud.. Slatkine 2012.

Je suis né le 15 décembre 1881 à Petersburg. Mais j’aimerais dire quelques mots sur la jeunesse révolutionnaire des années 1860 à 1880. On m’a beaucoup parlé de tout cela, surtout mon père qui connaissait bien, personnellement, quelques-unes des personnalités les plus importantes de ces mouvements. Et moi-même, plus tard, j’en ai rencontré également.

L’administration ne savait pas très bien que faire de gens, plus d’un millier, qui avaient été emprisonnés pour activités subversives. Souvent c’était l’exil. Il y eut également de grands procès à caractère politique, mais cela s’est souvent retourné contre le pouvoir car les révolutionnaires y retrouvaient une plateforme bien intéressante pour exprimer leurs convictions. Il faut dire que l’administration judiciaire était remarquablement indépendante, suite à la réforme d’Alexandre II. Les juges étaient nommés à vie, et le pouvoir politique, qui craignait sévèrement certains d’entre eux, ne pouvait les déloger. C’est ainsi que les accusés ont pu s’exprimer très librement.

Petersburg

Celui qui allait devenir mon père était maitre d’école. Avant même de passer son baccalauréat, il avait décidé d’aller à la campagne pour apprendre aux paysans à lire et à écrire. A la première occasion il s’installa dans un village aux environs de Petersburg. C’est là qu’il rencontra ma future mère, également institutrice. Tous deux, comme la majorité des jeunes de cette époque avaient été fortement influencés par les courants révolutionnaires de l’époque, surtout par la philosophie du mouvement ‘’Terre et Liberté’’, et tous deux voyaient dans l’enseignement et l’information le meilleur moyen de traduire en acte leurs idées politiques. Il y a peut-être là un rapprochement à faire avec Tolstoï.
Quelques souvenirs remontent jusque-là. Celui de mon grand-père, par exemple, qui m’adorait. J’étais son seul petit-fils, et il me gavait de bonbons au cours de nos promenades. J’en suis tombé malade et d’autres problèmes de santé y ont fait suite pendant toute ma première année. C’est ma mère qui m’a sauvé en s’opposant aux indications et décisions des médecins qui m’ont traité pendant cette période.
Mes parents engagés dans le mouvement révolutionnaire clandestin, ont été, comme tant d’autres, repérés par la police et emprisonnés. A cette époque, en Russie, les cas de nature politique étaient jugés en général par l’administration (police politique, corps de gendarmerie). Mon père fut condamné à quatre ans de déportation en Sibérie orientale. Ma mère et moi, leur fils malade avons reçu l’autorisation de l’accompagner dans le convoi de déportés. Nous avons dû passer par la prison de Moscou avant d’entreprendre la longue marche, à pied ou à cheval (le transsibérien n’existait pas encore !) au-delà de l’Oural. Vu mon état, un célèbre professeur de médecine m’a examiné en prison et a déclaré que je ne devais pas survivre probablement à ce voyage, mais les soins de ma mère ont prévalu et nous sommes arrivés à Tomsk en Sibérie vers la fin de l’année 1882.

Sur le chemin de l’exil, Omsk, dernière ville avant Tomsk

Tomsk, c’était l’étape. Tous les déportés devaient s’y arrêter. A la prison locale, ils passaient devant un médecin. Celui qui m’a examiné avait sans doute des opinions politiques assez libérales. Dans son rapport au gouvernement, il a mentionné, parmi les déportés la présence d’un petit gamin gravement malade, incapable de se rendre à Takoutsk. C’est ainsi que nous nous sommes établis à Tomsk, avec la permission du gouverneur, en principe pour la durée de ma guérison. En fait, l’administration nous oublia bien vite.
La famille s’agrandit alors avec la naissance de deux autres garçons et d’une petite fille qui devait malheureusement être emportée par la maladie en bas âge.

Tomsk était une ville bien intéressante. Il y avait là de nombreux déportés de renom et des gens de très haute culture, parmi lesquels le Prince Alexandre Kropotkine, frère de Pierre Kropotkine. Le premier, astronome, avait travaillé l’observatoire de Poulkovo, tout près de Petersburg avant d’être déporté, alors que le second, une des têtes du mouvement anarchiste, a commencé par voyager, passionné qu’il était par la géographie, et surtout en Sibérie où fermentaient les mouvements révolutionnaires. Rapidement la police a repéré l’activité subversive de Pierre Kropotkine, et l’a arrêté et emprisonné, mais, grâce à des amis, il réussit à s’enfuir à Londres où la Royal Geographic Society le reçut comme un ami. Il faut dire que Kropotkine avait fait parvenir à celle-ci les résultats de ses recherches sur l’Altaï et qu’il jouissait d’une excellente réputation scientifique. A Londres, il put continuer ses travaux tout en œuvrant pour la réalisation de ses idées anarchistes. Ne pouvant pas se rendre en Russie il y envoyait de temps à autre sa fille que j’ai bien connue, notamment à Tver, où s’est installée par la suite la famille de son oncle Alexandre. A Tomsk j’étais souvent avec les enfants Kropotkine et je les ai retrouvés plus tard à Tver où nous formions une petite bande dirigée par ‘’niania’’ de la famille Kropotkine. Je me rappelle de notre demeure à Tomsk, voisine de celle de nos amis, et de notre cour commune, dans laquelle pénétraient parfois des fragments de glace lors de la débâcle de la rivière Tom, au printemps. Et puis il y avait pas mal d’autres révolutionnaires déportés, en particulier des gens venant du sud, des Géorgiens, des Arméniens, des Azerbaïdjanais.

Pendant ces temps, mon père a trouvé un travail à Saratov sur la Volga, dans les chemins de fer, mais, peu après, des amis installés à Tver lui ont fait savoir qu’ils avaient trouvé pour lui une place plus intéressante et ainsi nous nous y sommes installés et j’y ai vécu jusqu’à l’âge de dix ans. (1891)

Situation des villes où s’est passée la première partie de la vie de Nicolas Oulianoff. Toutes situées, le long de la Volga.

Mon père occupait à Tver un poste de secrétaire du juge de paix, un homme bien sympathique du nom de Karnioukov. Ma mère qui ne pouvait exercer son métier d’institutrice en tant qu’ancienne déportée, fonda une petite école pour la communauté d’amis politiques. Il y avait là les Kropotkine, les Ragozinev, moi-même et d’autres. Le père Ragozinev, un grand entrepreneur, s’occupait de l’exportation de pétrole qui démarrait à cette époque à Bakou où travaillait aussi d’ailleurs le fameux Nobel.
Chaque été, Karnioukov invitait ma famille à sa propriété de campagne ‘’Karmenka’’ à une quinzaine de kilomètres de Tver, une marche de trois à quatre heures. Des amis venaient nous y rejoindre, et, à la table du jour (‘’soumeski’’) on se mettait à chanter en chœur, entrainés par la belle voix de ma mère. Mon père m’encourageait à m’occuper d’un jardin botanique avec des espèces très variées. Je trouvais un grand plaisir à me promener à travers les forêts et les champs car il connaissait bien la nature. Il avait commencé à écrire de petits récits très appréciés des éditeurs, ainsi que des poèmes destinés aux enfants. Chaque année, pour la fête de Saint Nicolas 1 mon père me faisait don d’une poésie sur la nature ou sur la vie des paysans. Il faut dire que cet intérêt général pour les sciences naturelles caractérisait l’atmosphère intellectuelle de la jeunesse russe de la seconde moitié du XIXème siècle.
A Tver s’était constitué une véritable colonie de révolutionnaires qui avaient en commun non seulement leurs idées, mais aussi un chien terre-neuve tout noir, appelé ‘’Nègre’’ qui venait gratter à la porte. On lui ouvrait et il entrait, mangeait, passait quelques jours chez l’un de nous, puis s’en allait chez un autre, et ainsi de suite.
En haut lieu on se méfiait bien sûr de ce petit cercle d’anciens déportés et tous les suspects figuraient sur les listes noires de la gendarmerie (la police spéciale politique créée par le Tsar Nicolas II), mais, ne pouvant déceler d’activité subversive (organisation d’une typographie secrète, réunions de paysans, ouvriers, etc.…), elle n’intervenait pas.

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1 St. Nicolas, seul à être fêté deux fois par an. Mes parents ont choisi ce nom en l’honneur de mon grand-père, et m’ont inscrit dans le livre des baptêmes pour la fête au 9 du mois de mai, mois du réveil de la nature. Il faut ajouter que le baptême était obligatoire et j’ai dû subir cette célébration malgré les réticences de mes parents, un contrôle sévère étant appliqué par le clergé et la police. D’ailleurs tous les élèves de l’école secondaire devaient se confesser une fois par an au pope attitré de leur institution pédagogique.
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Certains membres de la communauté devinrent par la suite des têtes du mouvement révolutionnaire, des femmes en particulier. Les femmes ont joué un rôle de premier plan dans les mouvements révolutionnaires et dans l’évolution des idées. Il n’y avait d’ailleurs aucun problème ‘’féminin’’, de problème d’égalité entre les sexes, celle-ci étant absolument admise  par tous les révolutionnaires, alors que l’Université, par exemple était fermée aux femmes et ceci jusqu’à la révolution de 1917. Il existait cependant une Université pour femmes, privée, fondée à grands frais par Bestovjev-Rumine (le même à qui l’on doit le palais de Rumine à Lausanne) à Petersburg. Une Université complète, à l’exclusion de la médecine et de la théologie enseignée à l’Académie de Théologie, tout à fait distincte de l’Université. Les cours à Bestovjev-Rumine se déroulaient dans sa propre maison où il avait installé quelques modestes laboratoires, l’enseignement était du même niveau que celui de l’Université. Bien sûr un nombre considérable de femmes s’expatriaient pour recevoir une éducation universitaire, surtout en médecine, et particulièrement dans les universités suisses, celles de Lausanne, Zurich et Bâle surtout. Elles y eurent de multiples contacts avec des réfugiés politiques russes de gauche et d’extrême gauche. Elles revenaient ensuite pour pratiquer leur art après avoir passé un examen en Russie et répandaient ensuite le message révolutionnaire surtout parmi les gens de la campagne.

Le même message pénétrait par d’autres voies aussi, bien sûr. Ainsi la revue ‘’Kolokol’’, ce qui signifie ‘’La Cloche’’ (symbolisant le tocsin, l’alarme) édité par Herzen, qui avait quitté la Russie à la veille de la révolution de 1848 aboutissait régulièrement sur la table du Tsar, sans que celui-ci sache par quel cheminement le journal (qui ne le ménageait pas !) pénétrait dans son palais.

Mais revenons à Tver où mon père travaillait pour le juge de paix. En 1890 il reçoit une lettre de Korolenko,2 déjà célèbre écrivain russe, très actif dans les mouvements humanitaires et qui avait été déporté à Irkoutsk.  Korolenko se trouvait à Nijni Novgorod, à la confluence de l’Oka et de la Volga, et sur la ligne de chemin de fer menant à Moscou. C’était une ville commerçante, avec de grands moulins.

Nijni Novgorod

A côté du club des nobles qui ne s’intéressaient qu’aux jeux de cartes, il y avait une autre institution assez spéciale, un club ouvert à tout le monde le ‘’Vsesolovny’’ (club de toutes les classes de la population). Là on s’occupait activement d’une bibliothèque ouverte à tous. Le bibliothécaire étant parti, Korolenko, pensait que mon père avec qui il avait correspondu par l’intermédiaire d’amis communs, pourrait occuper le poste. Ainsi mon père partit pour Nijni Novgorod et, quelque temps après, le reste de la famille le suivit. On y a rencontré Korolenko ainsi que les frères Annenski, dont l’un était journaliste, condamné à la déportation ‘’légère’’ à Nijni Novgorod, et l’autre, le poète, était maître au gymnase à Tsarskoïe-Solo. Ils collaboraient tous deux à une grande revue mensuelle très importante en Russie ‘’Rouskoe bogatstvo (‘’Richesse russe’’) et signaient la chronique générale (on évitait le terme ‘’politique’’) sous le nom Oba (‘’Tous les deux’’). Nijni Novgorod comptait aussi deux quotidiens, l’un plutôt commercial, l’autre plus général.

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2 Vladimir Korolenko (1853 – 1921) déporté en Sibérie de 1879 à 1884 était un disciple de Jean-Jacques Rousseau. Il est l’auteur de plusieurs romans dont le premier lui valu sa condamnation.

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Des croquis et de petits récits de mon père paraissaient dans ce quotidien de temps à autre. Finalement le rédacteur proposa à mon père une place permanente.  Le rédacteur en chef était lui aussi un déporté et tout ce monde formait une collectivité très fraternelle. Mon père quitta donc la bibliothèque, y laissant des traces importantes de son activité.

Korolenko s’occupait activement des anciens déportés en leur trouvant du travail, par exemple sur les bateaux transportant des voyageurs sur la Volga. Il aida beaucoup un jeune écrivain du nom d’Alexis Piechkov, qui devint Maxime Gorki, d’abord engagé comme secrétaire chez un marchand avant de connaître la célébrité. Je me rappelle lui avoir apporté des volumes à lire de la part de mon père.

Pendant ce temps-là, ma mère me préparait à l’examen d’entrée à l’école secondaire car j’avais 10 ans. La commission scolaire a estimé que je pouvais commencer directement en deuxième année. Mes camarades d’études étaient souvent des camarades de jeux, comme les deux filles de Korolenko, les enfants de sa sœur les Lochkarev, les enfants de notre propriétaire, un architecte du nom de Lenke. Korolenko nous avait encouragés à faire éditer un recueil de nos ‘’œuvres’’. C’était en 1892, année de la grande famine en Russie. Des villages entiers étaient décimés. Korolenko participait à une action d’entraide auprès de la paysannerie, action combattue par le pouvoir qui ne voulait pas que l’on fasse du bruit autour de cette calamité, et par l’Eglise qui disait que ce fléau représentait une punition méritée pour nos péchés. C’était la thèse officielle. A cela s’opposait celle de l’ ’’intelligentia’’3 russe qui essayait par tous les moyens d’aider les affamés malgré la surveillance policière et les arrestations. Notre petit groupe a participé à cette action sous l’impulsion de Korolenko et nous avons vendu un certain nombre de nos recueils, et versé l’argent au mouvement d’entraide.

A l’école tout allait bien. L’instruction que j’avais reçue de mes parents représentait un grand avantage. Dès la première année on apprenait l’allemand, et dès la troisième, le français, toujours avec des maîtres dont c’était la langue maternelle, mais cela restait assez livresque. Ce n’était pas comme à l’Institut Smolny, fondé par Catherine II pour l’éducation des jeunes-filles, où les élèves devaient parler le français toute une journée, puis l’allemand le lendemain, l’anglais le surlendemain, et ainsi de suite.  Ma tante, élève de cet Institut a d’ailleurs fini par être traductrice. C’est à l’école que j’ai eu mon premier contact avec la Suisse, car le maître de français était un Raymond de Lausanne. Il nous parlait de la vie en Suisse, de sa géographie, des montagnes. Cela nous fascinait car on ne savait pas vraiment ce qu’était une chaîne de montagnes. A l’âge de 16 ans ma mère m’a emmené avec mes frères voir l’Oural et j’ai vu alors les sommets des montagnes dépassant les nuages. C’était bouleversant. Et quatre ans plus tard, j’ai vu les Alpes pour la première fois.

Par l’intermédiaire de Gorki, la ‘’Samarskaia Gazeta’’, de tendance socialiste, voire marxiste, proposa à mon père une place plus intéressante encore et c’est ainsi que la famille (en 1896 ?) partit pour Samara, sauf moi, car j’étais en dernière année d’école. J’ai passé cette année dans la famille d’un médecin, chef de l’hôpital, puis j’ai rejoint les miens à Samara.

J’avais 17 ans et j’étais alors confronté au problème de la suite de mes études. La physique m’attirait énormément. J’avais beaucoup lu et entrepris même de petites expériences. Finalement je décidai de préparer les examens d’entrée à trois des grands instituts technologiques de Petersburg. La ville comptait de nombreuses hautes-écoles, auxquelles se présentaient chaque année en automne des milliers de candidats. Par bonheur j’avais eu un maître de mathématiques excellent qui entraînait tous les élèves de la classe à arriver, par eux-mêmes, à la démonstration des théorèmes. Je me suis contenté de ce que j’avais appris et me suis présenté aux examens d’entrée de l’Institut de Technologie portant sur la physique, les mathématiques et la langue russe. Nous étions 2’000 candidats pour 200 places et je fus admis.

A Petersburg j’ai vécu chez ma grand’mère dès 1898. Sans tarder j’ai eu un entretien avec le professeur de physique Gesekus, où j’ai exprimé mon intérêt pour le magnétisme, et en particulier pour l’effet de l’aimantation sur un corps.  Il me semblait que l’on pouvait mettre en évidence une variation de longueur liée à cet effet, et j’ai commencé à travailler en laboratoire sur cet effet. Mais quelques semaines plus tard Gezekus m’apprit qu’un Japonais venait de publier un article qui disait exactement cela, et j’ai dû donner une autre orientation à mes recherches.

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3 Ce terme russe emprunté au français et bien répandu à l’heure actuelle ; pour les Russes cependant il évoque ceux qui ont la capacité de comprendre les choses sans nécessairement un grand bagage de connaissances, alors qu’en français il contient la notion de culture.

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Arrivé à Noël je suis rentré dans ma famille à Samara. Le 6 janvier, (1899 ?) veille de la rentrée universitaire était une fête académique, non officielle, voire semi-clandestine. On se réunissait à 50, 60 chez un particulier, un médecin, un avocat, souvent de conviction libérale. J’assistais à l’une de ces réunions où se trouvait un professeur d’histoire russe, collaborateur de la revue Rousskoé bogatsovo (‘’Richesse russe’’) dirigée par Korolenko. C’était gai ! On racontait des anecdotes et on chantait beaucoup lorsque, tout à coup arrive un étudiant qui s’exclame : ‘’Mauvaise nouvelle : le tsar a publié un décret à l’adresse de la Finlande qui limite grandement sa liberté’’. Ce décret était contraire à l’accord signé entre la Finlande et Alexandre II et la réaction ne tarda pas. Le lendemain, 7 janvier les étudiants ont occupé les auditoires et ont proclamé la grève générale malgré les contrôles policiers à l’entrée de l’Institut. Seuls quelques cours donnés par des professeurs fidèles au régime ont eu lieu. Le célèbre mathématicien Markoff, par exemple, donna le sien plusieurs jours de suite, devant un auditoire vide.

Un comité décida d’organiser une manifestation sur le Nevski Propekt : elle se termina tragiquement par l’assaut des Cosaques à cheval à travers la foule, usant de leurs fouets spéciaux ‘’nagaïka’’ en cuir contenant des morceaux de fer. J’ai assisté à tout cela et j’ai été tellement remué que je suis allé à la rédaction  de ‘’Rousskoé bogatsovo’’ voir Korolenko, Annenski et Mihaïéovski, philosophe et critique, leur raconter ce qui s’était passé. Ils ont été scandalisés et décidèrent de réagir par la publication, la distribution et l’affichage de tracts, les journaux étant soumis à la censure. Je m’occupais du tirage de tracts grâce à un collaborateur du Musée ethnographique qui avait accès à un mimographe et à un ami de la famille, ancien juge instructeur, dégoûté de la justice tsariste. On travaillait dans un faubourg et j’en repartais chargé de lots de tracts cachés sous mes vêtements. Des réunions semblables eurent lieu partout en Russie avec grèves et manifestations dans toutes les écoles supérieures.

La police ne perdait pas de temps non plus et, en rentrant chez moi un soir, mon propriétaire me tendit un papier que la police avait laissé à mon intention. On exigeait que je passe à leur bureau y signer l’engagement de suivre les cours, sous peine d’expulsion. Je n’y suis pas allé et la police, le lendemain est venue avec l’ordre d’expulsion de Petersburg. C’est ainsi que je quittai Petersburg avec un très grand nombre de camarades (une petite minorité avait accepté de retourner aux cours),  et je me suis retrouvé à Samara, une première et brève page de ma vie estudiantine terminée. L’accueil de mes parents fut chaleureux. On était fier de ma conduite, parfaitement compatible avec l’idéologie de l’ ‘’intelligentia’’ russe.

Je me trouvais dans l’interdiction de poursuivre mes études en Russie, et c’était bien pénible, mais la situation était encore bien pire pour ceux qui se trouvaient près du terme de leurs études. Il fallait que je trouve du travail et je me suis adressé au ‘’Zemstvo’’, un organisme administratif  gouvernemental (=départemental) auquel participaient les représentants de la population, essentiellement des propriétaires fonciers. Il s’occupait spécialement des problèmes économiques : commerce, agriculture, voies de transport et institutions publiques primaires, mais là, s’il avait la charge de la construction des écoles, il ne pouvait nommer les maîtres. Cela c’était l’affaire du gouvernement central, car on craignait que les ‘’Zemstvo’’ comptent dans leurs rangs des gens comme Bakounine, propriétaire terrien, mais anarchiste.

Les ‘’Zemstvo’’ devaient, en particulier analyser les facteurs régissant l’état de l’économie agricole, et, pour cela, des bureaux de statistiques avaient été créés. On y engageait à cet effet des gens ayant une formation scientifique. Presque tous ces employés appartenaient à l’ ‘’intelligentia’’  car ce travail, d’ailleurs fort mal rétribué, attirait les idéalistes qui y voyaient un moyen excellent d’entrer en contact avec le peuple. Je me suis présenté au ‘’Zemstvo’’ local. On avait justement besoin d’un enquêteur dont la fonction serait de parcourir les villages pour un examen et des prélèvements de sols, analysés ensuite dans des laboratoires spécialisés. C’est sous l’impulsion du professeur Dokoutchaev de l’Académie agricole près de Moscou, père de la pédologie, que, vers la fin du XIXème siècle on a introduit l’étude physique et chimique des sols, aboutissant à une classification d’après leur composition, leur origine, qualités biologiques, etc… Ces travaux en étroite collaboration avec les ‘’Zemstvo’’ ont abouti à des méthodes d’amélioration des sols 4 .

Je devais visiter l’un après l’autre tous les villages autour de Samara. En arrivant dans un village je devais contacter le chef (‘’starosta’’), le mettre au courant de mes travaux, et le prier d’organiser une réunion avec les habitants les plus instruits et les plus capables, que j’interrogeais sur les conditions de travail agricole dans leur village. Il y avait un questionnaire imprimé destiné à tout le département de Samara. La réunion au cours de laquelle on rédigeait les réponses durait deux, trois, voire quatre jours. Ensuite on allait sur le terrain récolter des échantillons dont la situation était reportée sur une carte ou sur des plans cadastraux, avec une description morphologique de l’endroit en question.

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4 La pédologie se développa ensuite en Europe occidentale, en Allemagne surtout, et en France où un élève de Dokoitchaev, Agafonoff, poursuivit ces recherches.

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J’ai d’abord été dans la région de Bougourouslan, où habitaient des ethnies slaves, des Tchérémisses, vivant parfois en villages isolés, mais de plus en plus intégrés à la vague slave  par suite des échanges économiques. C’est dans ce milieu mixte que j’ai commencé mon travail, et à cheval car c’est ainsi qu’on se déplaçait dans ces contrées. Mais sans selle et quelques fois sur un étalon plein de fougue ! De retour au village, je posais des questions, complétais le questionnaire, puis me rendais dans le village suivant.

Genre de paysans auxquels Oulianoff eut probablement affaire, ici en costumes traditionnels.

Lors d’un de mes retours à Samara, j’ai rencontré Catherine Brechko-Brechkovski, reçue avec chaleur par ma mère. Cette dame, fille d’un propriétaire foncier et femme d’un fonctionnaire de l’Etat, était une grande révolutionnaire qui avait tout quitté pour entrer dans la lutte clandestine. Arrêtée, elle avait été condamnée aux travaux forcés en Sibérie. Après quelques années, elle a réussi à s’enfuir grâce à l’aide de complices, elle a suivi la filière à travers la taïga, se rapprochant de la mer d’Okhotsk, rejoignant le Japon grâce à des contrebandiers et, finalement, Londres où on a essayé de la retenir. Elle tenait cependant à rentrer en Russie pour reprendre contact avec les milieux révolutionnaires, surtout estudiantins. Ainsi allait-t-elle d’une demeure à l’autre pour y répandre le message révolutionnaire, en cachette naturellement car elle était connue et recherchée. En arrivant chez nous (elle ne connaissait ma mère que par ouï-dire mais elle savait qu’elle trouverait en elle une amie) Brechkovskaia organisa une réunion pour étudiants afin de leur parler de ce qu’elle avait vécu.

Nous habitions alors le premier étage d’une maison appartenant à un couvent et dont le rez-de-chaussée était occupé par des nonnes. Le monastère se trouvait à 60-70 km de Samara, en pleine campagne ; les nonnes et l’abbesse utilisaient cet appartement comme pied-à-terre lorsqu’elles venaient faire la quête en ville. Une nonne y restait toujours pour s’occuper du ménage et préparer l’arrivée des autres. Cette nonne ‘’Vassilissa’’ qui habitait le rez-de-chaussée avec deux ou trois jeunes religieuses vint nous rendre visite après notre installation. Elle s’étonna de ne point y trouver d’icônes. Peu après, une des religieuses s’étant blessée, elle vint demander de l’aide à ma mère, et des relations se sont nouées. ‘’Vassilissa’’ (que nous appelions ‘’Vassiona’’), intriguée, finit par demander à ma mère pourquoi il n’y avait pas d’icônes chez nous, et si nous n’étions pas croyants. Ma mère lui répondit que si, nous étions croyants ce n’était pas dans le sens strictement ecclésiastique, que nous n’allions pas à l’église, mais que nous avions nos idéaux pour lesquels beaucoup de gens avaient souffert, voire péri.Par la suite, ma mère suspendit l’icône avec laquelle mon grand-père donna sa bénédiction au mariage de mes parents, pour que toute personne qui le souhaitait puisse faire un geste religieux en entrant chez nous. Vassiona venait de plus en plus fréquemment chez nous, sous n’importe quel prétexte, pour parler avec ma mèreet, bien entendu, tout cela se répandait. D’autres religieuses venaient pour écouter, attendries, ma mère, et même une grande commerçante très fortunée de Samara qui s’était retirée au couvent (qui vivait des dons et legs des propriétaires fonciers). Elle avait appris quelles étaient nos convictions et les appréciait.

Brechkovskaia était donc chez nous. Un soir, de retour du bureau de statistique, deux policiers devant notre porte d’entrée. J’ai tout de suite pensé que c’était en relation avec la grande révolutionnaire. On me permet d’entrer. Je trouve ma mère, un officier de gendarmerie et quelques autres policiers. ‘’Voilà l’étudiant révolutionnaire’’ dit l’officier ‘’Heureusement que nous n’avons pas trouvé de littérature révolutionnaire, seulement des poèmes de Nekrassov…. Que votre thé était bon, Madame, il faudra que j’en parle à ma femme’’ Finalement il signe un procès-verbal, ma mère et moi le signons aussi, et les policiers s’en vont.

Ma mère put enfin laisser paraître la très forte émotion à laquelle elle se trouvait depuis 2 à 3 heures, et me raconta qu’elle avait pensé à l’arrivée de la gendarmerie que c’était pour Brechkovskaia et qu’elle l’avait cachée dans son lit, sous un monceau de couvertures, la tête enfouie sous un oreiller. Aux policiers elle raconta que c’était une pauvre vieille envoyée par les religieuses qui n’avaient pas pu l’accueillir au couvent. Ils fouillèrent tout l’appartement sans s’occuper de Brechkovskaia !

Ma mère a eu une autre aventure comme celle-ci. A la même époque (1899), Guerchouni, fondateur de l’organisation de la lutte armée, affilié au parti socialiste-révolutionnaire, fut arrêté et condamné au bagne en Sibérie, surtout pour sa participation à des attentats contre le tsar. La prison était ravitaillée de l’extérieur. Les bagnards, sous escorte, amenaient sur des traineaux des tonneaux remplis de choux salés destinés à la préparation de la soupe aux choux, un aliment très répandu. Guerchouni s’était caché dans l’un de ces tonneaux que l’on retournait au fournisseur de choux. Tout avait été ingénieusement préparé d’avance, en particulier les chevaux grâce auxquels Guerchouni a pu traverser la taïga, et atteindre le Japon. De là il rejoignit Londres d’où il écrivit une lettre à ses amis, dans laquelle il décrivait sa fuite en des termes qui enflammèrent la jeunesse révolutionnaire. Il abordait aussi les grands problèmes de l’heure. La lettre de Guerchouni fut multicopiée et distribuée clandestinement. Un exemplaire atteignit Samara où l’on réunit pour la lire révolutionnaires et sympathisants, en prétendant que c’est une fête de famille, avec gâteaux, confitures, etc… Ma mère en était. Et voilà qu’on sonne à la porte. C’est un gendarme qui se met à poser des questions aux personnes présentes et à menacer d’entraîner au poste certains suspects d’activités révolutionnaires. Soudain, ma mère, qui avait saisi la lettre de Guerchouni et la tenait dans sa main, dit : Mais, Monsieur l’officier, puisque vous voilà parmi nous à l’occasion de cette fête, prenez donc un verre de thé, je vais vous le préparer. Elle ouvre la théière et à un moment favorable y laisse tomber la lettre qu’elle recouvre de feuilles de thé et d’eau chaude. Puis sert un verre à l’officier qui part ensuite en emmenant un suspect, ancien déporté.

Ces réunions ont joué un rôle important dans la préparation de la révolution, et ce n’était évidemment pas sans risques. Il y en avait partout et elles rassemblaient des gens de milieux très variés, et de professions très différentes. A celles-ci s’ajoutaient des actes terroristes pour lesquels des gens comme Vera Figner5 , Hermann Lopatine et Nicholas Morosov6 entre autre furent condamnés à de longues peines. L’insurrection de 1905 entraîna une amnistie momentanée, grâce à laquelle de nombreux prisonniers, comme ces derniers, alors enfermés dans la forteresse de Schliesseburg, furent libérés. Vera Figner (et Lopatine aussi) devint une grande amie de mes parents. Parallèlement à cette amnistie, on leva la censure, et ce fut une explosion de publications de toutes sortes, bien vite étouffée par la répression.

Mais j’anticipe. Revenons à Samara. Au début de l’année 1900, je reçus une lettre de l’Institut technologique de Petersburg déclarant que je pouvais poursuivre mes études après passage d’un examen. Je repartis en toute hâte à Petersburg avec un ami étudiant de l’Institut des Ponts et Chaussées. On prit une chambre ensemble et les mois suivants furent consacrés à des leçons particulières que nous donnions le jour à des gymnasiens pour survivre, et la nuit à l’étude par tranches de trois heures, l’un travaillant l’autre dormant, puis l’inverse. Et nous avons été reçus tous les deux. L’été je suis retourné au ‘’Zamstro’’ à Samara où je repris mes randonnées à cheval (et sans étriers ! je suis devenu un fort cavalier).

Début août, me revoilà à Petersburg pour reprendre mes études. Noël arriva et je passai les fêtes en famille. Le 3 juin 1901 j’étais de retour à Petersburg et le 6 la grève générale était déclarée dans toutes les villes universitaires de Russie. On avait appris que certains étudiants, jugés particulièrement dangereux et condamnés à la déportation au nord de la Russie ou en Sibérie, n’avaient pas été amnistiés et l’indignation était à son comble. Cette fois on me conseilla d’aller étudier à l’étranger. Je décidai de partir pour l’Ecole Polytechnique de Munich et m’y suis rendu sans tarder.

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Vera Figner 1852 – 1922 fut membre du comité de la ‘’Volonté du peuple’’. Elle prit part à l’organisation d’attentats contre Alexandre II et fut condamnée à mort en l884, peine commuée en réclusion a vie et déportée en Sibérie, elle regagna la Russie en 1915. Autre révolutionnaire ayant participé à l’assassinat d’Alexandre II, Sophie Pérovski, fille du gouverneur général en Asie centrale, fut exécutée.

Savant remarquable, Morosov travailla beaucoup en prison, surtout dans les domaines de la physique, des mathématiques, de l’astronomie et de la géologie. On lui doit un volume consacré à l’explication scientifique de l’apocalypse, publié juste après sa libération.
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Alors commença un nouveau chapitre de mon existence, avec, d’abord l’apprentissage de l’allemand que j’avais un peu appris à l’école.  Je suis directement entré en deuxième année de la scolarité aboutissant à l’obtention d’un diplôme d’ingénieur mécanicien. En dehors de mes études, je passais beaucoup de temps dans la colonie russe de Munich, très importante. Beaucoup s’y trouvaient pour des études à l’Université ou au célèbre Conservatoire de musique. Et l’atmosphère de la colonie était à la révolution. Toutes les deux ou trois semaines on organisait une conférence publique, en russe, pour entendre un révolutionnaire chevronné comme Rabouchinski, Brechkovskaïa, etc. J’allais aussi aux concerts, surtout ceux dirigés par le célèbre Weingartner.

A Pâques un collègue me proposa de participer à un voyage à Venise avec deux autres amis. Cela me tentait énormément, mais je n’avais pas le sou. Finalement j’ai décidé de partir quand même car je voulais à tout prix voir les Alpes. Il était entendu que nous ne dépenserions que le strict minimum. Alors on partit, d’abord en train jusqu’à Partenkirchen, puis à pied par le col de Seefeld, le premier vrai col de montagne que j’ai eu la joie de franchir dans ma vie, le premier d’une longue série ! Puis, par Toblach en direction du col d’Ampezzo. Et là, c’est la tempête de neige. Que faire ? Il y a une accalmie et on repart, la neige au-dessus du genou. On se relaye pour ouvrir la trace. La chance est avec nous : un café est sur notre chemin et nous nous y installons pour boire un verre de ‘’Glühwein’’, puis nous repartons vers Cortina où nous arrivons le soir par un beau coucher de soleil, mais bien trempés. Nos moyens ne nous permettent pas de loger à l’hôtel, alors nous continuons notre route, transis, les vêtements gelés. Au-delà de la douane, épuisés, nous trouvons enfin une maison accueillante où une dame nous permet de nous étendre pour la nuit sans accepter un sou. Et on descend pour trouver en bas dans la vallée le printemps ! Les arbres sont en fleurs, on se restaure dans un café, et c’est la route jusqu’à Treviso puis Maestre où nous entendons chants et mandolines, (et je pense à Goethe !).

Venise

Le lendemain nous sommes à Venise et directement à la Piazza San Marco. Pendant trois jours nous parcourons la ville en tous sens, émerveillés. De là nous partons pour Vérone, mon ami Gourvitch et moi à pied, puis on se dirige vers le Lago di Garda et ensuite vers Limone, petit village collé à la montagne. Avec Gourvitch nous rentrons à pied par Merano, station pour tuberculeux, et les cols que nous avions franchis à l’aller jusqu’à Munich où la colonie russe nous accueillit, admirative pour l’exploit sportif, en moyenne 50 km de marche par jour.

On se remit à l’étude tout en suivant le mouvement révolutionnaire. Trotski est venu plusieurs fois à Munich donner des conférences semi-clandestines sans trop de problèmes car le Prince-régent de la Bavière était assez libéral. Et puis j’allais au concert. Weingartner faisait salle comble et je me rappelle d’un chef d’opéra très remarquable qui dirigeait caché derrière un paravent : il estimait que je public venait pour écouter la musique et non pas regarder le chef. On enlevait le paravent à la fin du spectacle pour qu’il puisse saluer le public.

J’étais entré en seconde année et suivais mathématiques, physique, le dessin technique aussi et passais bien des heures à la remarquable bibliothèque de Munich, entre autre pour Jean-Jacques Rousseau, en français, bien sûr. Encouragé par un certain Joukovski, parent du fondateur de l’aéronautique, j’ai passé par Genève avant de rentrer à Samara en vacances, dans le but de prendre livraison d’une valise à double fond remplie de littérature clandestine imprimée sur du papier très fin utilisé par les fumeurs. J’en ai profité pour passer à Evian et dans la vallée du Rhône, à pied jusqu’à Montreux, avec un tour du lac en bateau. Premier contact avec la Suisse. De Munich je me suis encore rendu à Dresde pour admirer le merveilleux tableau de Raphaël, Notre Dame, qui me fit grande impression. J’aimais la peinture et j’avais déjà bien exploré les richesses italiennes, françaises et flamandes de l’Ermitage. Dont les beaux Rembrandt qu’aimait tant Catherine II.

La frontière était très étroitement contrôlée pour une raison bien précise. Dès la fin des années 70 beaucoup de jeunes filles cherchaient à partir pour la Suisse, la France, l’Allemagne, spécialement pour étudier la médecine. Elles avaient besoin de l’accord de leurs parents, et si elles ne pouvaient l’obtenir elles trouvaient un autre moyen. A Petersburg, dans les réunions d’étudiants, elles cherchaient un compagnon disposé au mariage (blanc) et dont la signature suffisait alors à la réalisation de leur projet. Elles étaient, bien sûr, animées d’une grande ferveur révolutionnaire. Passablement de ces mariages ont d’ailleurs duré. Mais cette astuce n’avait pas échappé à la police du Tsar qui renforçait sa surveillance. Il est arrivé une histoire assez drôle à ce sujet à Borodine, le grand compositeur, chimiste et professeur à l’Académie Militaire de médecine. Il partait pour l’étranger avec sa femme. Long arrêt à la frontière. La douane farfouille partout. Madame Borodine se rend au buffet de la gare et Borodine reste seul dans son compartiment. Les douaniers accompagnés de gendarmes arrivent. Borodine présente son passeport. L’un des douaniers le regarde attentivement et demande :’’où est votre femme ?’’. ‘’Elle est allée au Buffet, prendre un café’’. ‘’Comment s’appelle-t-elle ? Son prénom ?’’ ‘’Je ne l’ai plus en tête’’ dit Borodine. ‘’Ah, c’est grave, Monsieur, très grave.’’ A ce moment Madame Borodine revient et son mari de crier tout naturellement ‘’ Machenka, Machenka quel est ton nom ?’’ On n’insista pas.

Bref, la frontière était surveillée depuis longtemps. Cependant il y avait un trafic tel qu’il était impossible de contrôler chacun, et c’est ainsi qu’on arrivait à faire passer nos valises à double fond remplies de littérature clandestine.

Voilà qu’en 1901 je dus de nouveau interrompre mes études, ma famille étant dans l’incapacité de me soutenir financièrement. Je suis donc retourné à Samara. Or à cette époque les compagnies de navigation sur la Volga ou l’Oka engageaient volontiers ceux qui revenaient de la déportation. Il régnait dans ces compagnies une atmosphère très libérale, voire gauchisante, A Nijni Novgorod il y avait une compagnie, la ‘’Nadejda’’ dont le directeur était un Tchaïkovski, frère du compositeur et ami de Figner. L’inspecteur de la compagnie, un ancien déporté, du nom de Saginé avait épousé la sœur de Vera Figner. C’est ainsi que je suis devenu aide-inspecteur de cette compagnie.

Nijni Novgorod : la confluence de la Volga et de l’Oka.

Je suis donc parti pour Nijni Novgorod où j’ai fait venir ma mère et mes frères. A la Semstovo ma mère trouva un emploi. On s’est mis rapidement en contact avec les milieux révolutionnaires et progressistes qui commençaient à s’organiser en cellules. Je me rappelle d’un incident anecdotique qui relate assez bien l’atmosphère de cette époque dans la région. J’avais été envoyé par l’organisation révolutionnaire régionale de Nijni Novgorod à une rencontre de cellules dans la région de Mourom. Voilà que dans le train où de nombreux paysans s’étaient installés monte un gendarme. Il ne tarde pas à intervenir dans nos discussions sur les prix agricoles, mais très rapidement se met à discourir sur les problèmes de la société russe. D’après lui les émeutiers révolutionnaires veulent seulement semer le désordre et il faut les supprimer, ainsi que, surtout, les Juifs largement responsables de ces troubles, Et puis, continue-t-il la police veille car on ne peut pas laisser aux Russes trop de liberté, car les Russes sont bêtes, ne savent pas se défendre, s’organiser. Tout à coup, sous le coup d’une inspiration, je me lève brusquement et tape fort du poing sur la paroi de boisée et crie :’’Comment, chien que tu es, comment oses-tu dire que les Russes sont bêtes ? C’est comme ça que la police gouverne le peuple et lui inculque l’idée qu’il est stupide. Comment as-tu le droit de dire cela ? Toi qui es gendarme et qui, au contraire, doit veiller au patrimoine en Russie. Tu mérites la prison. Je vais te dénoncer au prochain arrêt. Je ne peux pas permettre chose pareille. C’est un scandale !’’ Le train ralentit et le gendarme sort de la voiture à toute vitesse et s’enfuit sous les rires des paysans, tous acquis à mes paroles.

Une autre fois j’ai failli être pris par les gendarmes lors d’une réunion de quelque cinquante personnes à l’hôpital psychiatrique de Tver. C’est grâce à un coup de téléphone, à la suite d’un avertissement donné par un gendarme sympathisant que nous avons pu nous enfuir. Mais les gendarmes avaient eu connaissance de la réunion grâce à un membre de notre organisation. Ainsi, s’il y avait de la sympathie de leur côté, il y avait des traitres du nôtre. Cela se terminait parfois très mal.

J’ai donc travaillé pendant quelques années sur la Volga et voyagé passablement. En passant, pour la petite histoire, c’est à cette époque qu’un Américain, qui se trouvait être le directeur local, avait organisé une flottille comme sur le Mississipi, avec des bateaux dont les roues étaient à l’arrière, mais cela convenait mal aux conditions de la Volga et les roues furent placées de côté.

La navigation sur la Volga prenait toujours plus d’importance et le mouvement révolutionnaire en a largement profité. Les employés de la compagnie, commandants et aides-commandants y compris étaient acquis à la cause révolutionnaire et ils favorisaient le transport de littérature clandestine, et même de passagers clandestins.

Vint la révolution de 1905, l’acceptation de la Douma par le Tsar, la préparation d’élections ouvertes à tous, même aux candidats sociaux-démocrates et sociaux-révolutionnaires. Je décidai de renoncer au traitement intéressant que je touchais sur la Volga pour me consacrer entièrement à la grande bataille politique et d’abord à la rédaction d’un ouvrage de vulgarisation sur le mouvement révolutionnaire, destiné au peuple tout entier pour qu’il comprenne la signification des mots, des termes et de l’essence de cette immense vague. Un dictionnaire, en fait, mais un dictionnaire un peu particulier. Il eut un grand succès. Le premier tirage à 2’000 exemplaires fut tout de suite épuisé et on passa à un second de 20 à 30’000 et à d’autres encore. C’est grâce à un médecin très connu habitant Nijni Novgorod et à ses relations (ou patients !) propriétaires de grandes minoteries que l’entreprise a pu être financée. Ce médecin pensait que le changement de société tant souhaité, devait reposer sur une information et une éducation large et bien faite, et il savait que je pensais de même.

J’ai donc travaillé à cette tâche pendant plus d’une année, jusqu’au revirement politique que l’on connaît, le durcissement de l’attitude de Nicholas II sous l’influence de son conseiller Pobédonostsev, secrétaire du Conseil synodal russe. Ce fut le retour, en 1906, de l’oppression, des perquisitions, des arrestations. Et malgré l’avertissement d’un ami, je n’ai pas réussi à échapper aux gendarmes et à la prison. J’y suis resté quatre mois. Au début je partageais une cellule avec un gaillard qui a rapidement cherché à entrer en conversation avec moi. C’est avec raison que je m’en suis méfié, car j’ai appris plus tard qu’il s’agissait d’un espion, mais, connaissant l’histoire de la révolution en Russie et ailleurs, je ne me suis pas laissé prendre. Ma mère et une ‘’fiancée’’ me rendaient visite et m’apportaient gâteaux et jambon. Finalement on m’a remis en liberté sous caution, une caution de 6’000 roubles de l’époque, soit environ 15’000 francs suisses, versés par un industriel de la région. J’ai donc retrouvé la liberté, mais j’étais étroitement surveillé et trois mois plus tard, alors que je me trouvais justement chez un membre de l’organisation révolutionnaire liée à la société de navigation, on vint m’avertir que la police perquisitionnait chez moi. Je décidai de me cacher, et la nuit, de m’embarquer clandestinement sur un bateau qui remontait la Volga. Ainsi ai-je échappé au bagne.

Petersburg. A quai, des bateaux à vapeur du type de ceux sur lesquels avait travaillé N. Oulianoff

Je suis arrivé finalement à Petersburg et on m’a chargé tout de suite avec mon ami Kowarski (parent du physicien qui a travaillé longtemps au CERN) d’organiser des rencontres clandestines, des contacts entre cellules, et l’édition de brochures. Je participais aux réunions régionales. Et chaque soir changeais de gîte jusqu’au moment où j’ai décidé de louer une chambre sous un faux nom et avec un passeport au nom de quelqu’un d’autre. Je m’étais d’autre part inscrit en troisième année de l’Institut technologique, expliquant  que je désirais obtenir un diplôme après avoir étudié à Munich, et on me délivra une carte d’étudiant, ce qui pouvait aussi me rendre quelques services. Pour fêter cette installation, je suis allé voir ‘’Les cloches de Corne ville’’, mais en rentrant je trouve un billet de la propriétaire. La police était venue et je devais me rendre au poste le lendemain matin.  La logeuse venait de recevoir des nouvelles de Moscou, que ma mère allait très mal et que je désirais m’y rendre dès la première heure. Je lui ai demandé de dire cela à la police au cas où elle viendrait me chercher, et je suis retourné dans la clandestinité. Plus moyen de louer une autre chambre et j’ai recommencé à circuler d’une maison à l’autre.

Oulianoff et Kowarski au temps de leurs activités clandestines

En 1906 je suis allé à une grande réunion du parti socialiste-révolutionnaire en Finlande. J’y ai vu Gerchouni. Il y avait aussi l’agent provocateur Azef. Cela se passait près de la cascade de l’Immatra. Tout à coup on nous annonça que la police russe centrale, suite à des contacts avec la gendarmerie finlandaise, était en train de cerner le congrès. Il fallait fuir. Les collègues finlandais ont porté sur eux tout ce qui était compromettant, les policiers russes ne pouvant rien leur faire. On a pris le chemin du retour et finalement le train pour Petersburg.

Nos fonds provenaient de sources diverses, parfois de vols à main armée. Staline a attaqué ainsi la voiture postale d’un train et a emporté une somme considérable. Puis il y avait les sympathisants, entre autres les grands marchands de thé, la grande compagnie juive de thé Vyssotski, par exemple, celle des frères Popov aussi, et bien d’autres.

Helsinki

A Petersburg j’avais des contacts avec les sociaux-démocrates qui travaillaient surtout dans le monde ouvrier, tandis que nous, les socialistes-révolutionnaires nous avions mis, à tort, nos espoirs dans l’insurrection paysanne. Mes parents, Vera Figner, la Brechkovskaia, Lepatine et leurs collègues de l’intelligentia pensaient que la révolution partirait des paysans et particulièrement des ‘’communes’’ qui existaient depuis longtemps, et qui distribuaient la terre, louée, entre les familles selon le nombre de bouches à nourrir. Mais les paysans étaient presque tous illettrés alors que les ouvriers l’étaient de moins en moins, et, se retrouvant à l’usine, ils s’organisaient plus facilement.

Et il avait d’autres divergences, par exemple sur l’usage de la violence et les méthodes terroristes. Le mouvement ‘’Terre et Liberté’’, les courants qui en dérivaient et auxquels ma famille avait adhéré tout comme les anarchistes Kropotkine, Elisée Reclus, etc… étaient opposés à la violence. A l’opposé au sein de l’organisation spéciale ‘’La Volonté du Peuple’’ (‘’narodnaia Volia’’) on pensait qu’il fallait d’abord anéantir le gouvernement en l’affaiblissant par des attentats.

La révolution de 1905 surprit tout le monde. Personne n’y était en fait préparé et aucun modèle de gouvernement n’avait été réellement conçu par les révolutionnaires et c’est pour cela qu’elle a échoué. Il nous fallait donc reprendre tout le problème de l’information et de la structuration du mouvement révolutionnaire.

Les réunions centrales se tinrent désormais à l’étranger. En 1907 je suis parti pour Londres avec Kowarski à l’une de ces réunions où Gerchouni a joué un rôle prédominant. Il y avait là entre autre Tchernov, rédacteur du bulletin, Rakinikot, qui avait travaillé autrefois comme chef du bureau de statistique à Saratov et qui avait été déporté en Sibérie, Argounov, très actif, et sa sœur Argounova, la Brechkovskaia, la Volhovskaia que j’avais rencontrée à Tomsk dans la petite école organisée par ma mère et qui avait émigré à Londres en famille, son père exerçant le métier de journaliste. Il y fut question de problèmes locaux et régionaux sur lesquels il fallait particulièrement attirer l’attention, puis de la manière de travailler à la rédaction, à Genève, qui était un véritable centre révolutionnaire. Une lutte de plumes opposait les sociaux-démocrates et les socialistes-révolutionnaires à propos des idées marxistes, une vraie compétition littéraire. Les sociaux-démocrates comptaient sur le grand spécialiste de Karl Marx, Pléchanov, les socialistes-révolutionnaires s’y opposaient mettant au premier plan le rôle de la paysannerie. Mais la polémique coûtait cher en papier et en hommes, car il y avait des arrestations, surtout parmi les passeurs de littérature clandestine. Ce n’était pas la première fois que j’allais en Angleterre. J’y avais déjà passé, en route pour Paris, lors d’un autre congrès. Cette fois j’en ai profité pour aller voir les gardes de Buckingham Palace.

Les années 1906 – 1909 se sont donc passées comme cela pour moi, activités clandestines surtout en relation avec le travail de propagande, et vie clandestine surtout à Petersburg où je passais d’une maison à l’autre. Pendant ce temps ma mère et mes deux frères étaient établis à Nijni Novgorod où ma mère avait trouvé un emploi au Zemstro, le bureau de statistique. Mon père, journaliste et qui s’adonnait à la boisson, le malheur russe, avait accepté un poste à Karkov.

Une fois, avec Kowarski, nous sommes allés à Paris pour réorganiser le transport de la littérature révolutionnaire de Genève en Russie. Nous avions décidé de rentrer par le sud de la Russie, entre autre chose pour contacter une organisation socialiste-révolutionnaire à Bucarest, organisation dirigée par un médecin, converti à la révolution par sa fille qui faisait des études de médecine en Russie.

Rome

Sur le chemin du retour, à Milan, je dis à Kowarski : il nous faut aller à Rome pour contempler cette belle ville. L’argent de la compagnie Vissotski nous aidera à augmenter notre valeur spirituelle ! Alors on y est allé pour quelques jours. C’était le mois d’août et il faisait très chaud.
Un jour, nous étions sur la Place St. Pierre, admirant le Vatican, Kowarski propose d’aller boire quelque chose, mais je voulais encore admirer l’architecture, et nous nous séparons. Tout-à-coup je vois une procession en file indienne, avec un abbé en tête, hommes et femmes. Je m’approche d’une dame restée un peu en arrière, et lui demande ce qu’il en est. ‘’Nous sommes des pèlerins de Lille’’ me dit-elle. Alors je lui demande de pouvoir les suivre. Elle n’y voit aucun inconvénient et nous voilà devant une grande porte gardée par les gardes suisses. Elle s’ouvre et un évêque nous reçoit et nous mène, à travers des couloirs somptueux et des galeries couvertes de tableaux des grands maîtres jusqu’à une salle où un cardinal nous prit en charge et on nous fait accéder à une autre salle où nous devons former deux rangs. La porte s’ouvre et voilà que le pape entre, et passe lentement le long de chaque rang. A tour de rôle on doit se mettre à genoux et baiser sa bague qu’il nous présente. Je m’y suis conformé ! Et après il y eut encore une collation à laquelle j’ai pris part, naturellement, le cœur battant car j’aurais eu du mal à expliquer ma présence en ces lieux ! J’ai bavardé avec la dame que j’avais abordée sur la place, comme si j’étais un vieil ami. Finalement nous sommes sortis et j’ai poussé un soupir de soulagement. Kowarski n’était plus là : tout celas avait duré au moins trois heures. Quand je l’ai retrouvé il a eu de la peine à croire cette histoire tellement il l’a trouvée formidable ! Elle est effectivement assez scandaleuse. Plus tard, quand j’établissais la carte géologique du Mont Blanc et qu’elle commençait à paraître, le pape, un ancien paysan du Val d’Aoste, un montagnard à qui j’avais envoyé quelques feuilles m’a écrit une lettre de remerciements avec sa bénédiction, que j’ai donc reçue pour la deuxième fois !

Après l’aventure du Vatican nous sommes rentrés à Petersburg par Bucarest, et en franchissant clandestinement la rivière Prout qui était à l’époque la frontière entre la Roumanie et la Russie, aidés par des contrebandiers qui transportaient également de la littérature.

J’ai fait allusion à l’argent de la compagnie Vissotski. Il provenait d’un commerçant en thé. Les directeurs et propriétaires des grandes compagnies, les Vissotski surtout, les Gavronski, Fondaminski ont payé de leur personne. Ils croyaient à la révolution et certains ont été exilés, voire condamnés au bagne. Quelques-uns ont même fait partie du ‘’groupe de choc’’, qui s’occupait spécialement de la préparation et de l’exécution des assassinats. La famille Fondaminski a joué un rôle considérable en France où elle a constitué une bibliothèque remarquable de livres d’histoire russe. Elle avait des contacts étroits avec les milieux politiques de la France, surtout avec les sociaux-démocrates et recevait dans son salon le président Millerand 1 .

Pour illustrer l’état d’esprit qui régnait, voici une anecdote liée à notre séjour à Nijni Novgorod. On avait décidé qu’il fallait informer le plus largement possible la population de toute la région sur les événements politiques, et, pour cela, l’impression d’une feuille volante était nécessaire. Mais, où installer une imprimerie ? Une femme de la campagne, couturière, aidant ma mère à fabriquer nos habits et avait beaucoup appris d’elle sur la situation politique en Russie. La descente de police que nous avions subie l’avait indignée. J’ai eu l’idée de lui demander si elle serait disposée à héberger notre imprimerie, avec tous les risques que cela impliquait. Elle a accepté malgré nos mises en garde et, par la suite, ce qui devait arriver arriva : elle fut arrêtée et déportée en Sibérie. A une lettre que ma mère envoya là-bas, elle répondit qu’elle ne regrettait rien, qu’elle avait rencontré beaucoup de déportés et s’était fait un cercle d’amis intéressants qui lisaient et discutaient de tout. Bref, sa vie avait été transformée et elle a d’ailleurs fini par épouser un de ces déportés et fonder un foyer.

Il y avait aussi, comme je l’ai dit, un ‘’groupe de choc’’ qui cherchait avant tout à assassiner le Tsar. Guerchouni y avait fait entrer l’ingénieur Azef qui a joué double jeu pendant bien longtemps. Il participa à des assassinats, organisant des complots; le premier ministre Pleven, qui avait maté la révolution de 1905, Stolipine,  autre premier ministre et même le Grand Duc Serge en furent entre autres les victimes, mais il avertissait la police des attentats contre le Tsar. Double jeu dangereux mais qui lui rapporta beaucoup d’argent grâce auquel Azef menait grande vie, expliquant à ses camarades révolutionnaires que cela constituait une façade utile ! Finalement le bruit parvint au comité central du parti socialiste-révolutionnaire qu’Azef était un agent provocateur. C’était incroyable ! Et personne dans les ‘’groupes de choc’’ ne voulait croire la nouvelle. On en parla à Azef qui sut encore retourner la situation en sa faveur. L’accusation venait en fait de manière très indirecte de Lopoukhi directeur du département de police et juriste qui, secrètement, partageait nos convictions en attendant d’être dénoncé et déporté en Sibérie. Une séance mémorable eut lieu au café ‘’Regular’’ à Paris, réunissant les membres du groupe de choc dont Gotz, Argounov, Rakitnikov, etc… Azef avait été convoqué pour répondre à l’accusation de trahison. L’atmosphère était tendue, la discussion se prolongeait. A un moment donné Azef se leva et demanda la permission d’aller aux toilettes.

On ne l’a plus revu ! Par la suite de nombreuses arrestations eurent lieu, Azef ayant fourni des indications à la police du Tsar. Lui- même se réfugia en Allemagne où il exerça son métier d’ingénieur. On essaya de prendre une revanche, sans succès. Un diable d’homme que j’ai vu au congrès d’Imatra, en Finlande. Un ami de Vera Figner, de la Brechkovskaia, et de bien d’autres. Mais ma mère n’a jamais voulu faire sa connaissance. Elle était opposée à la violence, aux assassinats révolutionnaires et à la terreur, et j’étais du même avis.

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1Alexandre Millerand (1859 – 1943) socialiste, président de la République Française de 1920 à 1924.

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On était en 1909. L’affaire Azef sonna le glas du parti. La menace de l’arrestation pesait sur chacun de nous. Mon ami Kowarski est retourné en Russie quand même et a fini par faire des études de médecine à Munich. Moi-même, sûr d’être sur les listes de police, j’ai décidé de rester à l’étranger, et j’ai contacté un écrivain russe du nom de Roubakine, l’ami d’amis de ma mère, qui habitait Clarens, en Suisse romande. J’avais connu Roubakine à Petersburg. Il avait une immense bibliothèque et je lui ai écrit pour savoir si je pouvais y travailler. La réponse fut positive et j’ai pris le train pour la Suisse, non sans avoir acheté un sac de montagne et une lourde pèlerine car j’avais en tête de voir le Mont Blanc. Le Jura franchi, je l’ai vu de loin. Il fallait que je le voie tout de suite de près. Depuis Aigle, je suis parti à pied par Salvan pour rejoindre la vallée de Chamonix où je suis arrivé un soir, alors que le Mont Blanc était illuminé par un merveilleux coucher de soleil. C’est à ce moment que j’ai été saisi du désir ardent de comprendre la genèse de cette montagne, des Alpes et de me lancer dans la géologie…

Petite image conservée par N. Oulianoff, probablement acquise lors de ce premier contact.

Je suis resté un jour de plus à Chamonix avant de reprendre le train pour Clarens où Roubakine me reçut cordialement. Nous avons convenu que contre logis et nourriture je l’aiderais dans son travail de bibliographie. Je commençai donc à écrire des articles surtout sur des problèmes touchant à la Suisse, sur mes premières impressions de ce pays, et je les envoyais à des périodiques russes. Cela me rapportait quelques sous. Je donnais aussi des leçons dans la famille d’un comte Tolstoï (aucune parenté avec le Grand)

Au printemps 1910 arriva un ami de Petersburg avec qui Kowarski et moi-même avions travaillé, un certain Chinanovski. Il accompagnait en tant que précepteur le fils de Berenstamme, un avocat très connu de Petersburg 2. Le jeune homme souffrait d’une tuberculose osseuse et, pour assurer sa guérison, la famille loua une maison à Villars. Je m’y rendis souvent et c’est là que j’ai rencontré ma future femme, amie de Madame. Avec Chimanovski nous faisions des courses de montagne dans la région des Diablerets, Champéry, etc…

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2Les frères Berenstamme, tous deux avocats ont pris la défense de nombreux révolutionnaires dont Chimanovski à la suite des événements de 1905 et de l’affaire Azef

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Je me suis alors lancé, comme mon père autre fois à Nijni Novgorod, dans un grand travail de bibliographie dont le but fut de faciliter la recherche d’articles sur tel ou tel sujet dans les périodiques de l’époque. La bibliothèque de Roubakine comptait de nombreuses publications, mais ce n’était pas suffisant. Je me suis adressé à un éditeur de Moscou pour lui demander si la publication d’un ouvrage bibliographique de ce type pouvait l’intéresser. La réponse fut positive et enthousiaste. Une petite avance sur mes honoraires me permit de me rendre à Munich où une grande bibliothèque, très fournie et soigneusement entretenue avait été fondée par des étudiants russes. A Munich j’ai retrouvé par hasard Kowarski qui terminait en cette ville ses études de médecine et j’ai passé de nombreuses soirées chez eux évidemment.

Après mon départ, les Kowarski ont passé l’été en Autriche à s’occuper de ‘’self-instruction’’, une idée et une réalisation encouragée particulièrement par les publications de Roubakine. Voici de quoi il s’agissait. A cette époque, l’école primaire et même l’école secondaire laissaient beaucoup à désirer sur le plan de la culture générale. De grands commerçants s’en inquiétèrent, ceux-là même qui soutenaient les musiciens (dont Chaliapine), des écrivains (dont Gorki) et des artistes peintres en encourageant la création. Ces gens fortunés mirent sur pied un organisme qui permettait aux personnes sans grands moyens de voyager à l’étranger. Une circulaire était adressée aux maîtres d’école. On y mettait ce qu’on pouvait et l’organisme couvrait le reste. Ainsi des voyages eurent lieu en Allemagne, Suisse, Italie, France, Autriche. Partout on cherchait à être en contact avec des émigrés politiques. La police ne se doutait de rien. Ces émigrés servaient de guides, présentant et expliquant la vie à l’étranger, surtout sur le plan politique et l’histoire de la révolution. Ces voyages duraient un mois à un mois et demi et les groupes se suivaient. Les Kowarski s’étaient engagés pour l’été suivant également, toujours en Autriche, et me demandèrent de prendre en main pour l’année 1911 l’organisation des tournées en Suisse. J’ai tout de suite accepté.

C’est donc en Suisse que j’ai fait connaissance de ma future femme, étudiante alors à l’Université de Lausanne, une demoiselle Motovilov. Elle n’était pas parente, comme certains l’ont cru, d’une famille propriétaire d’un grand complexe métallurgique près de Perm sur la Kama, mais ce bruit s’étant répandu celui qui avait payé la caution nécessaire à ma libération de prison a réclamé son dû et j’ai été obligé de faire un emprunt et de m’endetter lourdement pour le rembourser. C’est en parcourant le remarquable ouvrage de Semionov Tian-Chanski ‘’Description géographique de l’empire russe’’ que j’ai trouvé une référence é l’origine des Motovilov. Cela remonte à Ivan le Terrible qui, ayant conquis le Kazan et repoussé les Tartares, voulut ériger un mur défensif en y installant un boyard Kabyla  et ses gens et ceci sur un grand territoire. Kabyla eut deux fils à qui il a donné les noms de Roman et Motovilov. Par la suite deux familles sont issues des fils de Kabyla.  Suite à l’occupation puis à l’éviction des Polonais, on chercha un nouveau tsar, et les boyards pensèrent  qu’en choisissant Micha Romanov, ils pourraient agir à leur guise. C’est ainsi que naquit la dynastie des Romanov, Pierre le Grand étant le petit-fils de Micha. Ainsi ma femme était en fait apparentée aux anciens tsars de Russie, les Romanov !

Les papiers d’identité nous apprennent que Mademoiselle Motovilov (ou Motoviloff) était plus jeune de quatre ans que son mari.

 

Le père Motovilov de Simbirsk habitait une propriété située dans le gouvernement de Poltava. Ma belle-mère avait étudié au fameux Institut Smolny. Son mari étant décédé, sur le conseil d’une de ses camarades du Smolny, Madame Motovilov décida de partir pour la Suisse avec ses trois filles âgées de 13, 10 et 6 ans et arriva à Lausanne en 1900. L’aînée des filles entreprit par la suite des études de médecine dans cette ville. Par la suite elle épousa un étudiant en philosophie du nom de Nekrassov dont elle eut deux garçons.

Kiev

Elle, sa mère et sa sœur Sophie qui avait parcouru l’Europe pour l’étude de la philosophie, les sciences naturelles, l’art et sa propre généalogie finirent par s’installer à Kiev où Zenaïde Nekrassov pratiqua à l’hôpital municipal fondé par la Grande Duchesse Xénia, la médecine à titre gratuit. Après quelque temps, la doctoresse Nekrassov décida d’aller à l’Institut Pasteur à Paris dont les méthodes l’intéressaient grandement. Toute la famille s’y rendit. C’est là qu’elle fut surprise par la guerre. Finalement, passant par le sud, Marseille et Odessa, grand-mère, filles et petit-fils rentrèrent à Simbirsk.

Sophie se rendit aussi en Angleterre avec une amie suisse. Là elle visita une imprimerie où on publiait les œuvres de Tolstoï. Elle y fit la connaissance d’un jeune étudiant, Andropov, avec lequel elle s’est liée. Andropov qui devait jouer un rôle important par la suite, fut arrêté et condamné à la déportation dans une petite ville du Nord de la Russie pour avoir transporté clandestinement la littérature de Tolstoï publiée en Angleterre. Sophie Motovilov est allée l’y rejoindre pendant quelque temps. Cette amitié dura longtemps.

Quant à moi, je m’étais marié et vivais à Lausanne, travaillant pour des revues mensuelles et en donnant des leçons particulières, comme ma femme d’ailleurs. Et puis, en 1911, j’ai commencé à guider des groupes de maîtres d’école qui venaient de Russie pour visiter la Suisse. Il me semblait que la Jungfrau, connue dans le monde entier, devait constituer le centre de ces tournées. J’ai donc réservé des chambres dans deux hôtels, le premier groupe comptant déjà 75 personnes. Les hôteliers étaient bien compréhensifs et ont même essayé de préparer des ‘’bortch’’ ! Avec un assistant j’ai emmené mes gens à la Grande Scheidegg et même sur le glacier (ce qui a failli mal se terminer !) et à Berne. Et tout entrecoupé de conférences et d’explications. Trois groupes ayant séjourné à Brienz j’ai demandé aux habitants du lieu quelle était leur impression. On me répondit que les gens de Brienz étaient fort contents de cette expérience et qu’on serait heureux de recevoir d’autres groupes l’année d’après. Alors nous sommes revenus en 1912. Ma femme a participé à ces tournées en entraînant les femmes jusqu’à Interlaken et environs. En 1914 j’ai guidé un groupe d’excursionnistes alors que la tension politique ne faisait que croître en Europe. Je les avais installés dans un petit hôtel de Berne et nous restions en contact permanent avec le consulat. Une tentative de retourner en Russie en passant par l’Allemagne échoua. Finalement on organisa un retour par l’Italie et la Méditerranée. Tout cela me donna de grands soucis.

Le professeur Maurice Lugeon

Pendant ce temps, à Lausanne j’avais pris une grande décision issue de la vision que j’avais eue du Mont Blanc, celle d’étudier la géologie. Je voulais comprendre comment les Aiguilles de Chamonix se sont formées, et pourquoi il y avait cette montagne, si haute, si belle.  C’est en 1913 que j’ai commencé mes études de géologie à l’Université de Lausanne, dans une situation matérielle très précaire. J’avais donc 32 ans quand je suis allé voir le professeur Maurice Lugeon. Il était quelque peu surpris et me posa bien des questions. Je lui dis que c’était le Mont Blanc qui m’intéressait, mais il m’attribua un sujet d’études dans une région proche de Lausanne pour que je ne perde pas trop de temps en voyages. Il s’agissait de la région de la Sarraz, du Mormont, dont l’intérêt était d’ordre stratigraphique et paléontologique. Après une année mon enthousiasme avait bien diminué. Je me rendis à nouveau chez Lugeon  pour lui dire que je tenais à avoir un sujet dans les Alpes et que les problèmes de structure me passionnaient. Alors un jour nous nous rendîmes  à Martigny et Lugeon me montra la dépression qui monte vers le col de la Forclaz, le Col de Balme et la vallée de Chamonix. C’est la fameuse zone Martigny-Chamonix et j’en fis le sujet de ma thèse, sujet bientôt réduit à la partie suisse en  raison de l’éclatement de la guerre.

Le socle cristallin m’intriguait particulièrement et je ne tardai pas à faire une première découverte. C’était lors d’une excursion avec Lugeon et le petit groupe de ses élèves d’alors. On était au-dessus de Dorénaz, dans la vallée du Rhône près de Martigny, et je scrutai le massif de l’Arpille, en face. Tout à coup je me rendis compte que les couches n’étaient pas verticales comme on l’avait dit jusque-là, mais horizontales. Je le dis à Lugeon qui me conseilla de me frotter les yeux ! Elie Gagnebin, son fameux collègue me pria de ‘’ne pas discuter avec le patron’’. A la prochaine occasion, cependant, j’allai voir les couches de près, les photographiai et montrai les tirages à Lugeon. Elles étaient bien horizontales et Lugeon n’en revenait pas. Ces questions de structures allaient m’occuper encore longtemps.

Je me suis donc lancé dans la géologie, mais mes études furent bientôt perturbées par l’éclatement de la guerre mondiale et des incertitudes qu’elle occasionnait. J’étais coupé de mes quelques maigres sources de revenus en Russie et devais consacrer beaucoup de temps à des leçons privées. On passait beaucoup de temps à commenter les événements politiques et militaires, évidemment. C’est ainsi que je vécu, comme beaucoup d’autres, pendant les années 15 et 16.

Vint 1917 et les nouvelles relatives à l’effervescence populaire en Russie, la colère croissante à l’endroit du Tsar, et surtout de la Tsarine, soupçonnée de faire le jeu des Allemands. Les révolutionnaires exilés attendaient leur heure. Celle de rentrer au pays pour y prendre le pouvoir. La Révolution éclata en février et le nouveau gouvernement déclara l’amnistie totale à l’égard de tous ceux qui avaient été condamnés par le gouvernement tsariste à l’exil ou à la déportation. J’étais devant un choix capital : rester en Suisse ou rentrer en Russie, dans ma patrie libre, pour y accomplir mes obligations militaires – j’étais inscrit dans le registre militaire dans ‘’le deuxième groupe de réserve’’, qui finit par être mobilisé. Je risquais d’être considéré comme déserteur. Je décidai de rejoindre la Russie, laissant mon épouse en Suisse.

On sait que les sociaux-démocrates exilés, et Lénine lui-même, ainsi que bien d’autres ont passé par l’Allemagne, dans des voitures plombées pour rejoindre la Russie. J’ai préféré passer par la France et l’Angleterre, l’Ecosse et la Norvège, la traversée de la Mer du Nord sous l’escorte de deux destroyers anglais, car on craignait les sous-marins. De Bergen on a passé les montagnes pour gagner la Suède, puis la Finlande et atteindre Petersburg où nous sommes arrivés tard le soir par une de ces célèbres nuits blanches de Petersburg qui permettent de lire toute la nuit sans éclairage. Le lendemain matin, après une visite à Vera Figner qui nous a mis au courant de la situation politique, je suis  parti pour Moscou et Nijni Novgorod pour voir ma mère. Je suis arrivé chez elle pour trouver le fils d’un de ses deux frères qui m’apprit que ma mère était à Moscou ! J’y retournai et nous voici enfin réunis

Moscou

Puis j’ai pris contact avec des amis et connaissances et d’abord Kowarski devenu médecin de la ville de Moscou. J’ai également retrouvé Poudnev, les Fondamisnski, Gavronski, etc… tous désireux de participer au renouveau social et politique. Les discussions entre sociaux-démocrates, socialistes-révolutionnaires, les’’bolcheviks’’, ‘’les mencheviks’’, les partisans de Miliokov allaient bon train et il fut décidé de former une municipalité où seraient représentés les différents partis. J’avais entre temps présenté mes papiers à l’autorité militaire qui m’avait prié de me tenir à disposition à Moscou. En août 1917 Kowarski, Poudnev et moi-même furent désignés comme délégués de notre parti et on m’attribua le département des problèmes sociaux. Je devais m’occuper surtout des ouvriers de la
municipalité, ce qui impliquait des pourparlers difficiles à l’heure où tous les prix ne cessaient d’augmenter et où la grève menaçait.

A Petersburg l’insurrection contre le gouvernement provisoire échoua, mais le Prince Lvov quitta son poste et Kerenski arriva au pouvoir. Les yeux étaient tournés de ce côté-là tandis qu’à Moscou l’affrontement se poursuivait entre les sociaux-démocrates qui s’appuyaient sur le monde ouvrier, et les socialistes-révolutionnaires qui comptaient sur le monde paysan. Les ‘’bolcheviks’’ ont alors décidé de sortir de la légalité en choisissant la voie de la violence, soutenue par des dizaines de milliers de soldats et d’ouvriers. Les socialistes-révolutionnaires se sont trouvés acculés et Poudnev, maire de Moscou a entamé avec les sociaux-démocrates des négociations. Ceux-ci, en position de force ont accordé à leurs adversaires la possibilité d’abandonner leurs fonctions officielles, pour retrouver, en hommes libres, le cours de leur vie ‘’normale’’. Je suis sorti avec les autres, dont Kowarski et Poudnev. Nous avons alors décidé de créer immédiatement un journal d’opposition qui dénoncerait la façon dont Lénine utilisait les acquis de la révolution. Pour nous, la première étape, avant toute décision concernant l’orientation de tel ou tel programme, devait être l’élection de la Constituante. Tel n’était pas l’avis de Lénine qui n’entendait pas partager le pouvoir.

Le journal fut édité grâce à des fonds du clan Kerenski. Il s’appelait ‘’Troud’’ (soit ‘’Le Travail’’) et j’en étais le directeur et l’éditeur. Je passais mes nuits à l’imprimerie à éplucher les nouvelles et à préparer l’édition du matin. Puis, après quelques heures de sommeil commençaient des séances de toutes sortes dans le but d’organiser les élections de la Constituante dans ce pays immense, et ceci avec les sociaux-démocrates qui n’avaient pourtant aucune intention de participer aux délibérations de la Constituante une fois convoquée. J’étais presque chaque jour dans leur quartier général au Palais de l’ancien gouverneur général. Il y avait là Bouharine, Podbelski et bien d’autres, mais pas Lénine encore à Petersburg. Et c’est alors qu’il a été blessé, victime d’un attentat perpétré par une jeune femme socialiste-révolutionnaire.

Le lendemain, ce fut la vengeance, des milliers de personnes furent tuées, spécialement dans les prisons, partout en Russie, et surtout des socialistes-révolutionnaires. Les amis chez qui je logeais m’avertirent que la police était venue me chercher. Pas question de poursuivre l’édition du journal, bien entendu. Je disparus une fois de plus dans la clandestinité, me cachant ici ou là, à Moscou ou dans les environs.  La situation était sans espoir, les bolcheviks tenaient tout. Je pris alors la décision de traverser la ligne de démarcation entre Russie et Ukraine où la situation politique demeurait très instable, les diverses factions s’affrontant les armes à la main. C’était l’automne, la période de la récolte du miel et la municipalité de Moscou avait décidé d’envoyer des émissaires pour en acheter. Des amis fonctionnaires m’ont fourni un faux document attestant que j’avais été détaché spécialement pour cet achat, ce qui me permettait de voyager sans encombre dans les trains où les contrôles étaient fréquents essentiellement pour repérer des transports clandestins de denrées alimentaires. La famine sévissait à Moscou, et les paysans n’étaient pas disposés à vendre leur farine, l’argent ne valant rien. On troquait et les campagnards échangeaient des denrées contre n’importe quoi, même des pianos !

Je suis arrivé dans les environs d’une ville tenue par les bolcheviks, non loin d’un poste tenu par les Ukrainiens, et on disait que les Allemands n’étaient pas loin non plus, mais l’armée allemande était en pleine désagrégation préférait rester en Ukraine où on pouvait encore se nourrir, plutôt que de rentrer dans une Allemagne affamée. Je me suis mis en route pour ‘’franchir’’ une frontière inexistante avec un homme conduisant un char. N’osant pas franchir une certaine limite, il s’arrêta et je descendis pour continuer à pied à travers une forêt, me courbant dans les buissons à l’approche de colonies militaires. Je repérai une gare de chemin de fer et m’y rendis espérant rejoindre Kiev. A l’arrêt suivant il y avait un poste de contrôle. On m’y accueillit grossièrement et je ne pouvais pas utiliser le faux document m’autorisant à acheter du miel. On me demanda, en russe, si je connais quelqu’un à Kiev. Je répondis que je connaissais tel avocat, personnage très connu (en fait je ne le connaissais pas personnellement). Et cela m’a permis de poursuivre ma route et d’atteindre Kiev.

A Kiev j’ai trouvé la famille de ma femme et il y eut un grand échange de nouvelles. Il fallait que je trouve du travail, n’ayant plus un sou. On me proposa un poste à la rédaction d’une publication, ce que j’acceptai. Quelques semaines plus tard, le sud de la Russie fut occupé par les Français et la flotte française  mouillait près d’Odessa. C’était une occasion et je décidai de la saisir avec quelques compagnons socialistes-révolutionnaires également arrivés à Kiev, dont Kowarski et des membres des familles Vissotski et Fondaminski. Nous sommes tous partis  jusqu’à Odessa où on arriva à Noël. J’ai trouvé un petit arbre et nous nous sommes réunis avec Kowarski et ses deux petites filles pour chanter et célébrer Noël.

La famille Kowarski à Odessa en 1919

Des collègues de Simferopol, la plus grande ville de Crimée, apprirent notre présence à Odessa et je reçus une lettre du maire de cette ville, lui-même socialiste-révolutionnaire, qui m’invitait à Simferopol pour y faire paraître un bulletin sur la campagne.  J’acceptai d’en assurer la rédaction et m’y rendis par Sébastopol. Nous étions en janvier 1919 et j’y suis resté trois mois, rédigeant ce bulletin et donnant des conférences.  La région était défendue par des volontaires, mais l’armée rouge avançait inexorablement pour atteindre finalement la presqu’île de Crimée. Elle traversait les marais qui séparent la presqu’île du continent. Il me fallait fuir et la seule possibilité semblait s’offrir du côté de Sébastopol où deux ou trois bateaux grecs attendaient d’embarquer ceux de la population grecque qui désiraient rentrer en Grèce.

Je me suis rendu à pied de Simferopol à Sébastopol où j’ai rencontré l’ami Strakov de Nijni Novgorod qui s’était occupé de l’imprimerie clandestine dont j’avais assuré l’organisation. Ensemble nous sommes montés à bord d’un de ces bateaux. A nous deux s’étaient joint les Vichniak de Moscou et nous avons trouvé à bord l’avocat Roditcheff de Tver et sa femme, ainsi que l’épouse de P. Miliokov, professeur d’histoire russe à Moscou, chef du parti libéral russe et qui se trouvait déjà à Paris où il occupait le poste de rédacteur d’un journal russe. Je me suis occupé de l’intendance matérielle des autres étant particulièrement démunis de sens pratique.

Après le Bosphore et les Dardanelles, ce fut enfin le Pirée, mais on ne pouvait pas descendre tout de suite car il fallait passer la quarantaine. A bord il y avait des cas de fièvre typhoïde. On nous consigna à bord pour une semaine, mais je me mis à parlementer avec la police grecque, expliquant qu’il y avait quelques vieilles personnes très faibles. J’ai proposé que ces personnes – mes amis – descendent à terre et passent dans la baraque de désinfection. On m’embarqua dans un petit bateau pour une entrevue avec un officier de marine, chef de la police du port. Celui-ci se laissa convaincre et je retournai annoncer la bonne nouvelle à mes compagnons. Une fois sur le quai de la douane et du contrôle médical on laissa passer tous mes amis, mais moi, on m’ordonna de retourner sur le bateau. Mes amis, inquiets, s’adressèrent à l’officier pour lui demander ce qu’il en était. Celui-ci répondit qu’il n’était pas question de laisser descendre à terre le ‘’personnage le plus dangereux qui existe au monde, celui qui a fait la révolution en Russie’’. Il a fallu toute la force de persuasion de mes amis, Roditcheff surtout, pour le convaincre que si on s’appelle Oulianoff, on n’est pas nécessairement Lénine ! Et finalement on me permit de rejoindre mes amis.

Nous voilà donc à Athènes où nous sommes restés plus d’un mois, allant du consulat russe au consulat suisse et retour, avec des incursions toute fois du côté des monuments de la Grèce antique, marmite dont nous sommes sortis. Mais notre tête était encore pleine de souvenirs de Russie, de notre voyage et de questions concernant l’avenir que personne ne pouvait prédire.

Avec  Strakov, aussi désargenté que moi, nous arrivions à peine à vivre des maigres subsides que nous allouait le consulat russe, encore tsariste d’ailleurs ! Mon passé de socialiste-révolutionnaire était moins important aux yeux du consul, que le fait que je me sois opposé aux bolcheviks. J’économisais tout ce que je pouvais en mangeant la nourriture grecque dans les petits restaurants qui ont toujours existé dans le quartier du marché.

Finalement on m’informa que la permission d’entrer en Suisse m’avait été accordée (j’ai su, par la suite, que c’était grâce aux efforts de Maurice Lugeon, devenu Recteur de l’Université de Lausanne) et, en ce mois de mai, je partis pour Naples. Strakov attendait toujours des nouvelles de sa femme et finalement il la rejoignit en Crimée. Par la suite, avec leur bébé, ils s’installèrent au Turkestan. Il y exerça le métier de journaliste jusqu’au jour où il fut arrêté. On n’a jamais su ce qu’il était devenu. C’est sa femme elle-même qui m’a raconté cela.

Naples

J’ai dû attendre un mois de plus à Naples. Naturellement je suis monté sur le Vésuve pour regarder bouillonner la lave. C’était très impressionnant. J’ai également visité la tempe de Puzzole dont les colonnes portent la trace de fluctuations verticales importantes dues semble-t-il au mouvement du magma sous-jacent. Le voyage se poursuivit par Florence où j’ai dû de nouveau m’adresser au consulat suisse (Il faut dire qu’il était difficile d’entrer en Suisse, but de réfugiés nombreux et de tous bords) puis par Milan et enfin Brigue où ma femme m’attendait. C’était le 1 juin 1919.

Nous avions deux ans à rattraper, et tant de souvenirs à nous raconter. On s’est arrêté un ou deux jours à Sion avant le retour à Lausanne où tant d’amis m’attendaient, avides de nouvelles de Russie. J’ai tout de suite été chez Lugeon qui m’a raconté comment il avait reçu l’agent de la Police secrète suisse (autrefois maître de français à Moscou) qui serait venu lui poser des questions à mon sujet. Il a fallu que là encore il arrive à le convaincre que je n’étais pas le frère de Lénine, ce qui fut facilité grâce à l’excellence de la cave de Lugeon !

Et je me remis au travail, reprenant le fil de mes études et de mes recherches. C’est au Col de la Forclaz que je m’installai. Ce col entre Martigny et Chamonix, était situé au cœur de mon problème. Que de fois y suis-je retourné ! Là je pouvais examiner les relations entre le socle cristallin et ses couvertures. Je dis bien ses couvertures, car il fallait distinguer deux groupes de roches sédimentaires plus jeunes que le socle, soit le Carbonifère d’une part, le  Trias et d’autres roches mésozoïques et cénozoïques d’autre part. Je récoltais des échantillons que j’examinais au microscope en laboratoire, raffinant les caractéristiques grâce à la méthode de Fédorov que Duparc avait introduite à Genève et que son élève Joukovski enseignait à Lausanne. C’est vraiment de Joukovski que j’ai appris la pétrographie. En 1920 je me suis présenté à l’examen de doctorat avec succès. C’est dire que je n’avais pas perdu beaucoup de temps depuis mon retour.

C’est à ce moment-là que le Conseil d’Etat du canton de Vaud a nommé Louis Déverin au poste de professeur de pétrographie, mais en lui accordant un congé payé de deux ans pour qu’il puisse terminer son doctorat ! Lugeon a proposé que je donne ses cours pendant ce temps et me voici chargé de l’enseignement de la minéralogie descriptive, de la pétrographie, et dirigeant les travaux pratiques au laboratoire et cela pour des étudiants en géologie et en chimie. Un gros travail pour moi mais qui nous permettait de subsister avec les leçons privées que donnait ma femme. Pendant ce temps j’ai également rédigé le texte de ma thèse, imprimée aux Matériaux pour la Carte géologique suisse en 1922.

Puis Déverin est arrivé en 1922 pour prendre la direction du laboratoire, et le Conseil d’Etat me remercia en me nommant privat-docent très généreusement (le poste n’était pas rémunéré !). J’ai quand même accepté de donner un cours intitulé ‘’Le métamorphisme des roches’’ et, si cela ne me rapportait rien, j’avais au moins la satisfaction d’avoir comme auditeurs Lugeon et Gagnebin, son assistant. J’ai organisé ce cours, donné pour la première fois à Lausanne, sur deux ans, donc jusqu’en 1924, puis me suis attaqué à un autre sujet pour lequel il n’y avait pas encore de cours dans la scolarité obligatoire sur ’’Les gîtes métallifères’’.

Puis Déverin est arrivé en 1922 pour prendre la direction du laboratoire, et le Conseil d’Etat me remercia en me nommant privat-docent très généreusement (le poste n’était pas rémunéré !). J’ai quand même accepté de donner un cours intitulé ‘’Le métamorphisme des roches’’ et, si cela ne me rapportait rien, j’avais au moins la satisfaction d’avoir comme auditeurs Lugeon et Gagnebin, son assistant. J’ai organisé ce cours, donné pour la première fois à Lausanne, sur deux ans, donc jusqu’en 1924, puis me suis attaqué à un autre sujet pour lequel il n’y avait pas encore de cours dans la scolarité obligatoire sur ’’Les gîtes métallifères’’.

C’est aussi à cette époque que la Commission géologique suisse m’a chargé de lever les trois feuilles de l’atlas du 25’000 Grand St. Bernard, Orsières et Martigny, ce qui impliquait un soutien financier pour les travaux de terrain. Mon destin était définitivement lié à deux noms connus dans le monde entier : le Mt.Blanc  et le Grand St- Bernard ! J’ai décidé d’aborder tout de suite la région du Col du Grand  St-Bernard et pour cela j’ai voulu obtenir une introduction auprès du prévôt de l’hospice du col. Il se trouvait que le chanoine Mariétan, professeur de sciences naturelles au collège de St-Maurice, suivait pour compléter sa formation des cours de géologie à l’Université de Lausanne. On se connaissait bien et il me fournit une lettre de recommandation avec laquelle je me suis présenté, un jour du mois d’août, chez le prévôt de St-Maurice. Celui-ci m’accueillit aimablement et, selon la coutume, me fit goûter son excellent vin du terroir, tout en me faisant un véritable cours sur les vins valaisans et vaudois. Je lui expliquai alors l’objet de ma requête qui l’intéressa au plus haut point, car il désirait justement que ses élèves, les novices, aient des notions de géologie.

Le chanoine Ignace Mariétan

Avec sa bénédiction et quelques lignes gribouillées au dos de la lettre du chanoine Mariétan je suis monté à pied au Col du Grand St-Bernard où j’ai été reçu royalement. C’est là seulement que j’ai appris ce que le prévôt avait écrit :’’Recevez le professeur Oulianoff comme si c’était moi-même’’ ! Je logeais dans la belle chambre qui lui était toujours réservée. Le lendemain après mon petit déjeuner à 7 h sur le perron pour partir au travail, j’ai trouvé un petit attroupement de jeunes gens en soutanes courtes. Après les avoir salué je m’apprêtais à m’en aller quand on me cria : ‘’Monsieur le professeur, attendez, nous allons avec vous.’’. ‘’Mais pourquoi ?’’ dis-je. ‘’C’est l’ordre de Monsieur l’aumônier qui veut que nous vous accompagnions dans les montagnes’’. ‘’Mais pourquoi tout ce monde ?’’ ‘’Oh, vous savez, à tout hasard… Monsieur, donnez-nous votre sac.’’ ‘’Comment, mon sac ?’’ ‘’Mais oui, vous ne devez pas porter de sac. Je le porterai dit l’un d’eux et je serai toujours à côté de vous,’’. Je sors ma sacoche du sac et aussitôt un autre s’en empare, ainsi que des jumelles et même mon marteau, malgré mes protestations.

Et ce fut ainsi tout au long de ces années de travail dans la région du Col du Grand St-Bernard. J’étais toujours accompagné et quand j’ai dit que je ne voulais pas avoir autant de monde avec moi, on me répliqua que tous voulaient être avec moi et profiter de mes explications. Ma journée de travail était ainsi une longue leçon ! Et la plupart des novices s’intéressaient vraiment à la géologie, certains sont presque devenus mes élèves.  Parmi eux trois ou quatre ont participé aux activités du Grand St-Bernard  en Orient. Le prévôt m’avait expliqué qu’on s’inquiétait de la transformation du Col en centre touristique et que, pour remplir sa mission humanitaire les moines avaient décidé de créer une sorte de second hospice du Grand St- Bernard sur un col situé à la frontière entre la Chine et le Tibet, à environ 4’000 m d’altitude, difficilement franchissable. Les voyageurs y trouveraient du réconfort. Ainsi fut fondée une mission au pied de ces montagnes, et une véritable navette s’organisa entre la Chine et le Valais, les novices faisant là-bas des séjours de 1 à 2 ans avant de revenir revoir famille et amis. A deux de ces novices j’ai donné un marteau de géologue, signe d’appartenance à la corporation.

A l’hospice du Grand St-Bernard

Pendant ce temps, Corbin et son équipe d’ingénieurs poursuivaient leurs travaux et j’y étais associé de façon toujours plus étroite, surtout pour les problèmes morphologiques. Les topographes s’adressaient à moi toujours plus fréquemment pour des conseils, au fur et à mesure qu’ils s’enfonçaient dans le massif des Aiguilles Rouges et du Mt. Blanc. Finalement les deux premières feuilles étaient presque prêtes à l’édition (‘’Servoz’’ et ’’les Houches’’) mais il y avait quelques taches blanches, des zones où on n’avait pas encore pu raccorder les courbes de niveau. C’était une affaire qui ne posait pas de grands problèmes en terrain pas trop accidenté et en ayant recours à la ‘’planchette’’, mais on voulait lever toute la carte avec le seul autographe d’Orel. Pour certains endroits il n’était pas aisé d’obtenir le couple de photographies que la méthode stréréophotogrammétrique requérait. Jusque là on avait utilisé uniquement des photos terrestres. Il existait toutefois une chambre photographique pour la prise de vues depuis un avion. Mise au point par la maison Wild dans les années 1925-26, destinée uniquement à des buts militaires. Et on pensait que l’impossibilité de fixer précisément les coordonnées du point d’où la photo aérienne était prise empêchait son utilisation pour la topographie. Un ingénieur français, Schlumberger, suggéra une façon de résoudre le problème sur les photos aériennes sur lesquelles on pouvait repérer des sommets dont l’altitude était précisément connue. Je me suis alors rendu chez Wild pour voir de près leur chambre photographique pour vues aériennes. C’était un appareil assez lourd, muni de plaques Perutz dans un magasin qui pouvait en contenir une dizaine. Je suis rentré chez Corbin, à Chedde, avec tout cela et me suis adressé tout de suite aux colonels qui dirigeaient le bureau pour qu’on charge l’un des topographes de ramener des photos aériennes de la région. Réponse négative. On m’a fait comprendre que l’aventure était trop risquée et qu’on ne mettait pas en péril la vie d’un topographe pour cela.

Furieux, je me suis rendu de suite au petit champ d’aviation situé au Fayet, d’où on pouvait faire un vol au-dessus du Mt. Blanc, mais on ne pouvait guère s’élever au-dessus de 3’000 m. J’ai discuté tout cela et du prix, avec le pilote Maurice Thorez. J’ai appris par la suite qu’il était célèbre pour ses vols ‘’à hélice calée’’, ce qui lui permettait de gagner de l’altitude en empruntant les courants ascendants, comme avec un planeur

Aérodrome du Fayet
P. Corbin, M Thorez et N. Oulianoff
Le sommet du Mt. Blanc. L’avion était à 3’950 m

On est parti par un jour de grand beau et avec un avion limité normalement à 3’000 m, on a survolé le Mont Blanc ! Thorez m’avait bien averti que cela ne marcherait peut-être pas et que nous serions peut-être forcés d’’’aglacier’’. Prévoyant, Thorez avait déposé dans un coin de la queue de l’appareil un piolet pour nous aider à négocier les crevasses, dans ce cas-là, et du chocolat pour nous remettre de nos émotions. En fait tout a bien marché, mais c’était un travail exténuant. Je ne pouvais le faire que debout, me déplaçant d’un côté à l’autre de la carlingue, en me penchant de façon à éviter de photographier le châssis de l’avion. De plus l’appareil chargé était particulièrement lourd. Je ne pouvais perdre une minute, – le vol de 2 heures coutait 1’000 francs et il fallait viser, changer le magasin, etc… En 1927 et, dans les années qui suivirent, j’ai effectué 17 vols au-dessus du Mt. Blanc et pris plus de 2’000 photos. Ces vols étaient merveilleux. Je les supportais sans problème, ainsi que le froid et l’altitude. A la suite d’un différend avec sa direction, Thorez fut cavalièrement congédié et le centre d’aviation militaire de la Savoie l’a assigné à l’école d’aviation pour qu’il entreprenne les pilotes débutants. Thorez ne l’a pas supporté et il a donné son congé. Par la suite sa fille m’a dit qu’il s’était installé à Aix-en-Provence où il faisait de la peinture. Il vivait de cela et refusait tout courrier portant la mention ‘’M. Thorez aviateur’’ !

J’ai volé ensuite avec un certain Pierre Serge dont l’avion atteignait sans problème 6’000 m. Au retour de ces vols, il y avait encore tout le travail de déchargement et de rechargement des magasins que j’effectuais en chambre noire à Chedde, les jours de mauvais temps. Quant au développement, après quelques déboires parisiens, j’ai confié ce travail à un photographe lausannois, de Jongh, avec des résultats remarquables de qualité.
A partir de ces excellentes photographies et de la restitution topographique de qualité équivalente, je me suis mis à lever la carte géologique. Et à peu près deux ans plus tard la double feuille Servoz – les Houches était prête.

Alors s’est posé le problème de son impression et si du côté suisse il y avait la Commission Géologique Suisse qui publiait les cartes au 25’000, du côté de la France il n’y avait guère de possibilités officielles. Une tentative auprès de Monsieur Termier, chef de service de la Carte Géologique, rattaché à l’école des mines, n’aboutit à rien, les crédits disponibles étant réservés à l’édition de la carte au 80’000.

Une fois de plus Corbin vint à mon secours. Il décida de prendre en charge le coût de l’opération, une grande affaire. C’était le début d’une aventure qui devait durer des décennies et qui doit son aboutissement à une belle collaboration et à l’engagement désintéressé de Paul Corbin pour la science et son avancement. Les quatre premières feuilles ont été imprimées avec un fond topographique en une seule couleur suite à l’intervention malheureuse du chef de la Société de la Carte Stéréophotographique, mais par la suite la base topographique apparaît en 4 couleurs et je me rendis bien souvent à Paris pour surveiller ce délicat travail de superposition. Et puis il y avait la préparation des notices explicatives qui accompagnent ces cartes et c’est là en particulier que je pouvais exprimer mes idées sur l’interprétation des observations géologiques.

Pour connaître le Mt. Blanc il faut beaucoup d’ascensions, parfois en compagnie de guides réputés et aussi des descentes, quelques unes par des voies peu classiques. Je me souviens d’une montée à l’Aiguille de Talèfre avec le futur maire de Chamonix Paul Payot. Nous avons été pris par une avalanche de pierres et l’une d’elle a percuté mon bras, le rendant inutilisable pour un temps. Mais mon bras avait protégé la tête de Paul Payot qui, depuis, m’appelait ‘’mon sauveur’’.

 C’est en 1968 que j’ai enfin terminé la carte du massif et la dernière feuille imprimée, celle de Pormenaz, est sortie de presse en 1969. Elle complétait la série, 14 feuilles en tout. Plus de 50 ans de travail pour connaître l’anatomie d’un massif. Pour trouver aussi des arguments à l’appui de mon hypothèse sur la superposition des cycles orogéniques à structures obliques.

En effet l’idée fondamentale que je poursuivais depuis l’époque de mon travail de thèse sur l’Arpille était la suivante : on avait déjà compris que les chaînes de montagnes pouvaient se superposer dans le temps et dans l’espace, c’est-à-dire que la même région du globe pouvait être déformée à deux reprises, voire plus, chaque épisode de déformation donnant naissance à des structures typiques d’une chaîne de montagnes (‘’orogène’’). Fourmarier, grand spécialiste de ces questions, et d’autres avec lui, avait déclaré que la chaîne la plus jeune suivait les lignes directrices de l’ancienne et que les structures superposées étaient parallèles. Je ne voyais pas la chose comme cela. Il me semblait, au contraire, que la superposition pouvait se faire en oblique et qu’aux tectoniques superposées pouvaient correspondre des axes de plis croisés.

Concept révolutionnaire pour l’époque et contre lequel on ne manqua pas de s’élever. Dans ces massifs, Mont Blanc et Aiguilles Rouges il me semblait bien voir le bien-fondé de mon hypothèse. En effet, dans le massif du Mont Blanc par exemple, on voit fort bien des structures orientées N-S dues à la tectonique hercynienne de l’ère Primaire, alors que le massif lui-même, né dans la surrection des Alpes de l’ère Tertiaire est orienté, allongé dans le sens SW-NE, trouvant sa prolongation dans l’édifice alpin, dans le massif de l’Aar.

Je crois finalement que cette affaire de structures tectoniques superposées et obliques représente ma contribution majeure à la compréhension des phénomènes géologiques et, dans la région du Mt. Blanc et des Aiguilles Rougies on peut très bien mettre en évidence l’influence des structures anciennes sur les structures plus jeunes, et vice-versa.

Mais je reviens à la nature, toujours en éveil, pour parler d’une petite catastrophe, le tremblement de terre de 1946 qui a secoué le Valais central, une des régions les plus sismiques de Suisse.   Avec une petite équipe d’étudiants nous avons tout de suite commencé à recenser les effets de ce séisme avec grand soin. Une étude précise du comportement des ondes sismiques a été un élément important de mon hypothèse sur la corrélation entre le massif du Mt. Blanc et le massif de l’Aar séparés par une dépression, celle du Valais central qui marquerait la prolongation vers le sud du fossé rhénan.

Et puis il y eut les expertises géologiques dont l’une des plus importantes et des plus intéressantes est certainement celle que j’ai entreprise pour le percement du tunnel du Mt. Blanc. C’est vers 1934 que Lugeon m’a abordé au sujet d’une expertise pour ce tunnel et sans la guerre il aurait sans doute été réalisé beaucoup plus tôt. ( Il a été inauguré en 1965). Parmi les problèmes qu’il fallait aborder il y avait en particulier celui de la température qui régnerait dans la galerie et à laquelle seraient soumis les ouvriers. On était très préoccupé par cela à la suite de la pénible expérience du tunnel du Simplon pour lequel on avait pronostiqué une température de 43° centigrade alors que la température est montée à 53°C avec des conséquences dramatiques. L’évaluation des conditions de température en profondeur est un exercice difficile et j’ai abordé tout cela prudemment, peut-être trop prudemment car j’ai conclu à des températures de l’ordre de 40 – 43°, alors que la température mesurée finalement en galerie était de l’ordre de 35°. Les ingénieurs en étaient ravis, mais le géologue, lui, n’était pas satisfait de ses prédictions. L’écart dans le cas du Mt. Blanc est probablement dû au fait que l’eau, grâce à un réseau important de fractures, atteint des niveaux assez profonds.

Avec celui du Grand St-Bernard j’ai passé bien des années à m’occuper de ces deux tunnels, et j’y ai beaucoup appris, et beaucoup récolté d’informations. En particulier j’ai échantillonné pas à pas les deux galeries, ce qui m’a permis d’avoir une bien meilleure idée de la constitution interne de ces massifs montagneux. Et puis j’ai pu constater avec plaisir que mes prévisions faites à partir de l’analyse de la surface étaient en général confirmées.

 

 Cela démontre une fois de plus que le géologue peut souvent se faire une bonne idée de ce qu’il ne voit pas à partir de ce qu’il voit !

Tous ces travaux m’ont conduit à collaborer avec des ingénieurs, mais aussi à constater bien souvent la très grande différence qui sépare le point de vue du géologue de celui de l’ingénieur. Le premier sait que, comme disent les Grecs, tout bouge, tout est en constante évolution et qu’il est bien illusoire d’espérer tout formuler mathématiquement et rigoureusement.  Le second se fie à ses formules et veut dominer la nature par la technique, alors que celle-ci doit s’adapter aux conditions naturelles. Il est difficile de concilier les deux visions d’où, parfois, des divergences importantes.

 

 

Il est toujours resté très discret sur sa vie privée. On sait cependant qu’il a gardé un contact épistolaire avec sa mère restée en URSS. Et un jour lui est parvenu de Petersburg un télégramme daté du 14 septembre 1941 :’’Votre mère est décédée le 11 septembre. Partageons votre douleur. Nevoline’’.

Mère de N. Oulianoff
N. Oulianoff en 1939

 

 

 

 

 

 

 

 

La liste bibliographique de Nicolas Oulianoff comprend plus de 60 titres, abordant des sujets très divers : chutes de glace, éboulements, relations entre les structures et l’érosion, etc…. Il a reçu de son vivant bien des hommages. Il fut nommé membre d’honneur de la Société Géologique d’Amérique, il reçut le prix Gaudry, la plus haute distinction de la Société Géologique de France et, en 1975, fut promu chevalier de la Légion d’honneur.

Oulianoff en 1975

Mais il est resté très modeste et il a conservé de bonnes relations avec ses amis, à preuve, cette photo où on le voit en discussion avec Ignace Mariétan, celui qui avait écrit la première lettre de recommandation pour le prieur de St-Maurice, plus de 30 ans auparavant.

En géologie, les choses avancent lentement (….), en 1928  (…)la Commission géologique suisse m’a chargé de lever les trois feuilles de l’atlas du 25’000 Grand St. Bernard, Orsières et Martigny. La feuille Orsières a été publiée en….1993 et j’en ai été en partie l’auteur. J’avais gardé de nombreux contacts avec Oulianoff car il avait été le premier à cartographier la portion du massif du Mont-Blanc qui affleure sur cette feuille. Mais la chose a été  délicate pour Christian Marro, responsable du socle de cette portion, parce que les levés d’Oulianoff étaient très anciens et que toute la surface avait été retravaillée par des géologues  au courant des idées modernes.

Ses derniers mois ont laissé des traces dans ma correspondance avec  Bellière, responsable de la feuille au 80’000. En date du 8 janvier 1977 : Monsieur Oulianoff est toujours en grande forme! Il y a eu une alerte cet été: il a du avoir une sorte d’insolation et a dû être hospitalisé, ses jambes ne le portant plus. S’estimant mal soigné, il est ressorti furieux au bout de trois jours et se porte merveilleusement depuis. En février il va passer le cap des 96 ans.

Du 28 mars. Les nouvelles de M. Oulianoff ne sont pas des meilleures. Il a été hospitalisé il y a une semaine, suite sans doute à une petite thrombose cérébrale. Il avait complètement perdu la carte, mais il était très heureux et chantait tout le temps. S. Ayrton  a été le voir avant hier et M. Oulianoff l’a tout de suite reconnu. Il va donc beaucoup mieux, mais il n’est pas question de le renvoyer vivre seul chez lui.

Par la suite M. Badoux a été le voir. Oulianoff était alors à Moscou pleine révolution d’octobre et il s’inquiétait du ravitaillement de postes isolés. Quand nous y sommes passés, ma femme et moi, je ne sais pas s’il nous a reconnus, mais nous avons eu grand peine à l’empêcher de quitter son lit qu’il considérait comme dangereux parce que branché sur le réseau électrique !

Il est mort le 3 juin de cette année 1977.

 

Marcel Burri

avec toute ma reconnaissance à mes collègues de la bibliothèque et du Musée de Géologie pour leur compétence et leur accueil,  et à Marina Savieleva-Praz qui a décrypté bien des commentaires griffonnés au dos de nombreuses photos.

Chamonix

Mes deux vies versions PDF:

Français : Mes deux vies

Anglais: My two lifes

Galerie

Documentation

 

 

Bibliographie exhaustive:

1920 :

  • Quelques résultats de recherches géologiques dans le massif de l’Arpille et de ses abords: Eclogae Geol. Helvetiae XVI, p. 79-84.
  • Sur les relations des amphibolites et du calcaire ancien dans le massif des Aiguilles-Rouges: Proc.-verb. Soc. Vaudoise Sci. Nat., p. 4.

1922 :

  • (avec Lugeon, M.) Sur le balancement superficiel des couches et sur les erreurs que ce phénomène peut faire commettre: Soc. Vaudoise Sci. Nat. Bull. 54, p. 380-388 et Lausanne Univ. Lab. Géologie, Minéralogie, Géophysique et Mus. Géol. Bull., no. 32.

1924 :

  • Le Massif de l’Arpille et ses abords: Berne, Mat. Carte Géol. de la Suisse, Nouv. sér., àe livr., IIe partie (84e livr. de la collection entière), 66 p.
  • (avec Corbin, P.) Relations entre les massifs du Mont-Blanc et des Aiguilles- Rouges: Acad. Sci. Comptes Rendus 178, p. 1015-1017.

1925 :

  • (avec Corbin, P.) La chaîne des Aiguilles-Rouges dans le mouvement orogénique alpin: Acad. Sci. Comptes Rendus 182, p. 530.

1926 :

  • (avec Corbin, P.) Sur les éléments des deux tectoniques, hercynienne et alpine, observables dans la protogine du Mont-Blanc: Acad. Sci. Comptes Rendus 182, p. 935-936.

1927 :

  • Sur le plissement ancien dans le massif du Mont-Blanc: Comptes Rendus du XIVe Congrès Géol. Intern., à Madrid 1926.
  • (avec Corbin, P.) Carte géologique du Mont-Blanc au 1/20000e, Feuille, Servoz- les Houches, avec une notice explicative: Paris, 27 p.
  • (avec Corbin, P.) De la différence et de la ressemblance des schistes cristallins des deux versants de la vallée de Chamonix (massifs du Mont-Blanc et des Aiguilles-Rouges): Bull. Soc. Géol. France 27, p. 267-274.

1928 :

  • Sur l’âge de la mylonite (granité écrasé) dans le massif des Aiguiiles-Rouges: Soc. Vaudoise Sci. Nat. Bull. 56, p. 411-412.
  • (avec Corbin, P.) Carte géologique du massif du Mont-Blanc au 1/20000, Feuille, Chamonix, avec une notice explicative: Paris, 24 p.

1929 :

  • (avec Corbin, P.) Carte géologique du massif du Mont-Blanc au 1/20000, Feuille, les Tines, avec une notice explicative: Paris, 24 p.

1930 :

  • Les derniers progrès dans l’étude des sols éternellement gelés: Soc. Vaudoise Sci. Nat. Bull. 57, p. 203-204.
  • (avec Corbin, P.) Carte géologique du massif du Mont-Blanc au 1/20000, Feuille, Vallorcine, avec une notice explicative: Paris, 16 p.

1931 :

  • La cartographie dans le massif du Mont-Blanc à l’aide de l’aéroplane: Soc. Vaudoise Sci. Nat. Bull. 57, p. 279-283.
  • Tectonique et glaciers: Soc. Vaudoise Sci. Nat. Bull. 57, p. 309-310.
  • (avec Corbin, P.) Carte géologique du massif du Mont-Blanc au 1/20000, Feuille, Le Tour, avec notice explicative: Paris, 16 p.
  • (avec Corbin, P.) Hypothèses et preuves dans le domaine de la morphologie glaciaire: Soc. Géol. France Comptes Rendus, 211 p.
  • (avec Corbin, P.) Influence de la structure tectonique sur la capture des glaciers: Soc. Géol. France Bull., 5e sér. 1, p. 237-244.

1932 :

  • Une contribution à la connaissance des gneiss œillés: Eclogae Geol. Helvetiae 25, p. 23-24.
  • (avec Corbin, P.) Carte géologique du massif du Mont-Blanc au 1/20000, Feuille, Argentière, avec une notice explicative: Paris, 16 p.

1934 :

  • Le problème des gneiss œillés dans ses relations avec la tectonique: Soc. Vaudoise Sci. Nat. Bull. 58, p. 173-176.
  • Massifs hercyniens du Mont-Blanc et des Aiguilles-Rouges, dans le Guide géolo­ gique de la Suisse: Soc. Géol. Suisse, fasc. II, p. 121-129; fasc. VI, exc. 17, p. 419-422; exc. 18, p. 423-425; fasc. VII, exc. 25, p. 461-465.
  • (avec Corbin, P.) Carte géologique du massif du Mont-Blanc au 1/20000, Feuille, Mont-Dolent, avec une notice explicative.
  • (avec Corbin, P.) La photographie aérienne au service de la géologie: Acad. Sci. Comptes Rendus 199, 431 p.
  • Collaboration à la feuille géologique 483 (St-Maurice), au 1/25000, et à la notice explicative (par E. Gagnebin avec la collaboration de M. Reinhard et de N. Oulianoff pour le massif des Aiguilles-Rouges): Berne, Commission Géol. Suisse.

1935 :

  • Morphologie glaciaire dans les régions à tectoniques superposées: Eclogae Geol. Helvetiae 28, p. 33-38.
  • (avec Corbin, P.) Carte géologique du massif du Mont-Blanc au 1/20000, Feuille, Talèfre, avec une notice explicative.

1937 :

  • Superposition des tectoniques successives: Soc. Vaudoise Sci. Nat. Bull. 59, p. 429-436.

1938 :

  • (avec Corbin, P.) Carte géologique du massif du Mont-Blanc, au 1/20000, Feuille, Le Tacul—Col du Géant, avec une notice explicative.

1939 :

  • Influence de la structure tectonique sur l’écoulement des glaciers: Les Etudes Rhodaniennes (Revue de géographie régionale), XV, p. 163-165.

1941 :

  • Mesures géothermiques dans les puits de forage: Actes Soc. Helv. Sci. Nat., Bâle, p. 101-102.
  • Plis, failles et morphologie: Eclogae Geol. Helvetiae 34, p. 176-178.
  • Présentation d’un nouveau modèle de boussole: Actes Soc. Helv. Sci. Nat., Bâle, p. 130.

1942 :

  • Effet de l’écrasement naturel et expérimental des roches: Soc. Vaudoise Sci. Nat. Bull. 62 et Lausanne Univ. Lab. Géologie, Minéralogie, Géophysique et Mus. Géol. Bull. no. 76, 7 p.
  • (avec Gagnebin, E.) Découverte des plantes carbonifères dans la zone pennique du Valais: Eclogae Geol. Helvetiae 35, p. 109.

1943 :

  • Pourquoi les Alpes suisses sont pauvres en gîtes métallifères exploitables: Soc. Vaudoise Sci. Nat. Bull. 62 et Lausanne Univ. Lab. Géologie, Minéralogie, Géophysique et Mus. Géol. Bull. no. 77, 14 p.

1947 :

  • Le tremblement de terre du 25 janvier 1946 dans ses rapports avec la structure des Alpes: Eclogae Geol. Helvetiae 39, p. 263-269.

1949 :

  • Les problèmes des tectoniques superposées et les méthodes géophysiques: Soc. Vaudoise Sci. Nat. Bull. 64, p. 213-222 et Lausanne Univ. Lab. Géologie, Minéralogie, Géophysique et Mus. Géol. Bull. no. 92, 10 p.

1951 :

  • (avec Collet, L.-W., Reinhard, M., Lombard, A., et Paréjas, E.) Feuille Finhaut (525) de l’Atlas géologique de la Suisse au 1/25000: La Commission Géologique Suisse.

1952 :

  • (avec Corbin, P.) Carte géologique du massif du Mont-Blanc au 1/20000, Feuille, Mont-Blanc (sommet): Paris.

1953 :

  • Superposition successive des chaînes de montagnes: Scientia, 47e année, VIe série, 5 p.

1954 :

  • Ecroulements de glaces et avalanches de neige: Soc. Vaudoise Sci. Nat. Bull. 66, p. 19-25, et Lausanne Univ. Lab. Géologie, Minéralogie, Géophysique et Mus. Géol. Bull. no. 110, 7 p.

1955 :

  • Ecrasement sans trituration et mylonitisation des roches: Eclogae Geol. Helvetiae 47, p. 377-381.

1956 :

  • (avec Corbin, P.) Feuille, Aiguille du Midi de la Carte géologique du massif du Mont-Blanc (partie française) à l’échelle du 1/20000 par MM, avec notice explica­ tive: Paris, Soc. Française de Stéréotopographie.

1958 :

  • Effet des vibrations expérimentales sur la sédimentation: Acad. Sci. Comptes Rendus 247, p. 2404.
  • Le métamorphisme des roches dans ses rapports avec les mouvements tectoniques: Soc. Vaudoise Sci. Nat. Bull. 67, p. 33-48, et Lausanne Univ. Lab. Géologie, Minéralogie, Géophysique et Mus. Géol. Bull. no. 123, 16 p.
  • Sédimentologie et géophysique: Acad. Sci. Comptes Rendus 247, p. 313.
  • (avec Trümpy, R.) Feuille (33) Grand Saint-Bernard de l’Atlas géologique de la Suisse au 1/25000: La Commission Géol. Suisse.

1959 :

  • Enseignements géologiques et hydrogéologiques résultant de l’étude de récents barrages en Suisse (celui de la Grande Dixence en particulier): Les Congrès et Colloques de l’Univ. de Liège 14. Barrages et bassins de retenue, p. 43-59.
  • Gisements d’eau fossile dans la croûte terrestre: Acad. Sci. Comptes Rendus 248, p. 2782.
  • La géologie et les grands tunnels alpins: Bull. Technique de la Suisse Romande, no. 9, p. 121-129, et L’autoroute, organe officiel de la Soc. suisse des Routes Automobiles, 28. Jahrgang (Bâle), no. 6, p. 96-102.
  • L’eau comme sédiment (Ve Congrès international de sédimentologie 1958): Eclogae Geol. Helvetiae 51, p. 696-706.
  • (avec Corbin, P., et Bellière, M. J.) Feuille, Miage, de la Carte géologique du massif du Mont-Blanc (partie française) à l’échelle de 1/20000 par MM: Soc. Française de Stéréotopographie.

1960 :

  • Cassures, eau et déplacements de masses rocheuses par les efforts tectoniques: Rept. of the Intern. Congress, 1960, pt. XVIII (Structure of the Earth’s crust and deformation of rocks), p. 277-279.
  • Compaction, déplacement et granoclassement des sédiments: Rept. of the XXIst Session, Norden, of the Intern. Geol. Congress, 1960, pt. X (submarine geology), p. 54-58.
  • Problème du Flysch et Géophysique: Eclogae Geol. Helvetiae 53, p. 155-160.
  • Transport des matériaux meubles sur les fonds océaniques: Acad. Sci. Comptes Rendus 250, p. 4410.

1961 :

  • Problème de ripple marks croisées et leur fossilisation: Eclogae Geol. Helvetiae 54, p. 499-505.
  • Quelques considérations géologiques en rapport avec le percement du massif du Mont-Blanc: 85e Congrès des Sociétés savantes tenu à Chambéry et à Annecy en 1960, Comptes Rendus, p. 157-261.
  • Rides sous-marines (ripple marks), (Un problème de sédimentologie): Soc. Vaudoise Sci. Nat. Bull. 67, p. 551-562, et Lausanne Univ. Lab. Géologie, Minéralogie, Géophysique et Mus. Géol. Bull., no. 130, 12 p.

1962 :

  • Les métamorphismes superposés dans les Alpes et le “rajeunissement” des roches: Bull. Suisse de Min. et Pétrogr. 42, p. 9-13.

1963 :

  • Morphologie du massif du Mont-Blanc dans ses rapports avec les tectoniques superposées de cette région. Livre à la mémoire du Professeur Paul Fallot con­ sacré à l’évolution paléogéographique et structurale des domaines méditerranéens et alpins d’Europe, T. II, p. 317.

1964 :

  • Feldspaths “ zonés” dans les enclaves du granite du massif du Mont-Blanc: Bull. Suisse de Min. et Pétrogr. 44/1, p. 137-155.
  • (avec Corbin, P., et Bellière, J.) Feuille, Tré la Tête, de la Carte géologique du massif du Mont-Blanc (partie française) à l’échelle de 1/20000 par MM, avec notice explicative: Paris, CNRS.

1966 :

  • Interview sous le titre “ Les enseignements des tragédies alpines,” Une réalité: “ Les glaciers menacent” : Images du Monde, no. 7, p. 4-6.

1968 :

  • (avec Corbin, P.) Contribution à l’histoire de la photogrammétrie. Lever stéréo- topographique de la partie française du massif du Mont-Blanc. 2e édition exécutée par la Société Française de Photogrammétrie à l’occasion du XIe Congrès à Lausanne (juillet 1968) de la Société Internationale de Photogrammétrie avec trois résumés: en français, en anglais et en allemand.

1969 :

  • Feuille Pormenaz, de la carte géologique du massif du Mont-Blanc au 1/20000 et notice explicative.

1971 :

  • Feuille Pormenaz, 14e de la carte géologique au 1/20000 des massifs du Mont- Blanc et des Aiguilles-Rouges: Soc. Vaudoise Sci. Nat. Bull.71, p. 419-432, et Lausanne Univ. Lab. Géologie, Minéralogie, Géophysique et Mus. Géol. Bull., no. 192.
  • Quelques renseignements pratiques de nature géologique obtenus grâce au perce­ ment des tunnels du Grand St-Bernard et du Mont-Blanc: Atti del primo Con­ vegno internat, sui problemi tecnici nella costruzione di Gallerie, p. 221-227.

1972 :

  • A propos des “ glaciers dangereux” : Bull, technique de la Suisse romande 98, fase. 18, p. 299-302.

1974 :

  • Deux plaques tournantes a l’extrémité N.-E. du massif alpin du Mont-Blanc: Soc. Vaudoise Sci. Nat. Bull. 72, p. 91-99, et Lausanne Univ. Lab. Géologie, Minéralogie, Géophysique et Mus. Géol. Bull., no. 210.